Dominique Maes, pour des lendemains qui enchantent
Au Poetik Bazar, il installera sa manufacture ambulante de la Grande Droguerie Poétique le temps d’une journée d’échanges avec le public : sa façon bien à lui de dépoussiérer la poésie et de susciter le rire et l’étonnement pour (re)créer du lien... Enchantement garanti !
Président Directeur Généreux autoproclamé, Dominique Maes a créé la Manufacture de la Grande Droguerie Poétique il y a une quinzaine d’années, après un long parcours comme auteur et illustrateur de jeunesse à L’École des loisirs et chez Albin Michel : « J’en ai eu ras-le-bol du monde de l’édition et de sa logique marchande. J’ai beaucoup de gratitude pour tout ce que j’ai pu faire dans la vie, mais j’étais triste et en colère face à la décision d’Albin Michel de retirer et détruire mon dernier livre après seulement six mois en librairie ! »
En réaction, l’homme crée une exposition de produits qui ne se vendent pas mais font du bien, réalisant ses premières bouteilles illustrées, qui répondent au doux nom de Décapeur de connerie ou de Fixateur d’instant de joie… Ébahi, il assiste ensuite à un dialogue tout à fait improbable entre un spécialiste de Spinoza et un agriculteur du coin, tous deux enthousiasmés par sa proposition. « C’est mon premier souvenir de ce petit magasin illusoire. Comme j’avais une camionnette, j’ai continué à créer des flacons et des bouteilles et je me suis mis à jouer au marchand ambulant… J’ai créé mon propre personnage, j’étais enfin dans la liberté totale de créer ce que je voulais… »
Aujourd’hui, plus de 400 produits forment cette collection tout à fait singulière, qui n’est toujours pas à vendre. Dominique pratique en effet une forme de révolution douce mue par un principe de non-rentabilité : « Le fait de ne rien vendre est une forme de résistance face au grand capitalisme. J’ai créé ma propre asbl, qui me permet de faire tourner la Grande Droguerie et de créer des choses nouvelles comme je l’entends. » Celui qui a fait de sa vie une promenade se revendique volontiers de Dada et du surréalisme, évoquant aussi bien L’Air de Paris de Marcel Duchamp que l’héritage de Raymond Queneau, du Daily-Bul et de Marcel Broodthaers, qu’il a connu dans sa jeunesse, sans oublier les bouteilles peintes par René Magritte : « J’aime leur côté ludique, en décalage, ancré dans une forme de poésie du quotidien à la fois joyeuse et désespérée. Je viens d’une famille pas du tout artiste mais clairement surréaliste, qui m’a ouvert à tout cela, et je me méfie des gens ou des institutions qui se prennent trop au sérieux. L’humour, on le sait, c’est la politesse du désespoir : une façon de résister à ce qui nous rend triste… »
Pour le plaisir de la promenade
Quand la camionnette a rendu l’âme, l’homme a acquis une petite caravane « Food Truck » qu’il a aménagée pour continuer à partir sur les routes : « Il faut aller vers les gens pour les toucher : quand on parle de poésie, les gens ne viennent pas, il y a des barrières qu’il faut absolument franchir pour refaire des connexions face à l’horreur de la société. De façon viscérale, j’ai besoin et envie de faire ça. » Cette dimension mobile rencontre les préoccupations des opérateurs culturels, de plus en plus nombreux à le solliciter au fil des années. Habillé de sa veste d’intervention doublée de grandes poches pour y glisse ses flacons, le poète militant circule dans les écoles, les médiathèques et les festivals.
Au fil du temps, Dominique s’est vu offrir de nombreux contenants pour ses potions imaginaires. Chaque étiquette est unique, réalisée à la main, à l’encre et au crayon de couleur. Si jamais une bouteille casse, il doit tout recommencer – sauf sa Poudre d’escampette, dont la brisure accidentelle en magnifie le sens… « J’ai aussi créé une série d’aphorismes pour qu’on puisse boire mes paroles », sourit celui qui n’a jamais vraiment renoncé au livre, publiant des poèmes en lien avec la Grande Droguerie Poétique. Mais c’est aussi un travail très physique où il faut porter les caisses, charger la caravane, rouler, se perdre avec bonheur, arriver dans des lieux inconnus : « Ma pratique est très improvisée, à l’instar d’une promenade. J’ai besoin de ces instants de vide pour être attentif à ce qui se passe autour de moi, pour capter et créer des choses… »
L’humour comme liant
Se considérant comme un pessimiste joyeux et un gourmand des mots avant tout, Dominique Maes fait sienne la phrase de Prévert qui dit que « la poésie, c’est l’autre mot pour dire la vie » : « La poésie, c’est éclairer d’une façon inédite des choses banales, qu’on voit tous les jours. Pour moi, l’acte poétique c’est ça : un bricolage qui propose des solutions nouvelles. »
Et des solutions nouvelles, qui font la part belle à l’imaginaire, chacun·e en a vitalement besoin dans ce monde contemporain aux horizons bouchés : ainsi, au Poetik Bazar, le poète a prévu de rencontrer des adolescent·es avec qui il va performer ses actions poétiques pour susciter chez elles et eux l’étonnement et le rire : « Iels vont peut-être un peu traîner des pieds mais je vais sortir des bouteilles qui vont les surprendre. L’humour permet de créer une connexion entre les gens. Mes produits ont un effet concret sur la façon dont on peut appréhender le monde. Un flacon vide peut avoir une grande efficacité. » C’est le cas de son Fixateur d’attention, très utile pour attirer le public et capter l’écoute des plus jeunes, ou de son Désodorisant de pensée nauséabonde qu’il vaporise parfois sur les personnes qui lui déplaisent, militant·es d’extrême-droite ou représentant·es du monde politique : « Ça ne change pas le monde mais ça fait du bien ! » déclare-t-il. « La politique est quelque chose d’assez noble, c’est faire société, mais aujourd’hui on a perdu cette définition, on est dans le marketing de manière permanente… » Celui qui a créé un Dissolvant de patriarcat et un Onguent de transition se méfie fortement des archétypes et des clivages : « Je suis un vieux convaincu d’Amin Maalouf, je pense qu’isoler une personne dans une seule identité est une grave erreur et qu’on en crève. Pour que ça circule, il faut parler de nos émotions, rire ensemble, faire lien, prendre le temps, alors la promenade devient enrichissante… »
Mais il existe aussi une forme de douceur dans son travail, dont des potions très affectives comme la Dose d’amour à déposer en goutte au creux de la paume – un produit qui crée des choses incroyables, confie-t-il, évoquant une jeune personne sans domicile fixe en larmes après avoir reçu ce soin. « Les gens sont sensibles au pouvoir de l’imaginaire mais aussi aux trouvailles que je leur propose avec les gourmandises langagières, où l’idée est de déguster les mots… »
Chaque petit pot est sorti au hasard et l’artiste en trouve une pour chaque personne présente, jouant des interactions qui apparaissent spontanément. « Je ne me sens pas acteur mais j’ai un plaisir du discours oral et je vis ce qui est dans mon imaginaire, j’improvise, et puis j’ai quelques trucs de camelot qui me viennent des interventions que je faisais avant autour de mes livres. » Ce grand timide peut ainsi donner une conférence « pot-éthique » devant 150 personnes, porté par ses bouteilles et ce qu’il a envie d’en raconter…
Aliénor Debrocq
Pour aller plus loin
. Retrouvez Dominique Maes et sa Grande Droguerie Poétique ce vendredi 20 septembre au Poetik Bazar (Halles de Schaerbeek)
. Ou visitez son joli site internet
. Durant le Poetik Bazar, venez nous retrouver lors de la permanence de notre équipe et posez nous toutes vos questions, ou rencontrez des éditeurs et éditrices de poésie lors de la table ronde "Etre ou ne pas être édité.e".