Hommage à Serge Meurant
Serge Meurant nous a quittés. Lors de leurs derniers Prix, les membres du Comité belge de la Scam venaient de distinguer ce compagnon de longue route , véritable "Âme sœur de la Scam". Nous lui rendons ici hommage.
Poète de la première heure, Serge Meurant est l'auteur d'une vingtaine de livres de poèmes publiés en France et en Belgique.
Durant plus de vingt ans, il a codirigé à Bruxelles le festival Filmer à tout prix dédié au cinéma documentaire.
Sa poésie privilégie le regard, nourri par l'attention qu'il porte au travail d'amis graveurs, de peintres ou de sculpteurs tout autant qu'à la démarche de cinéastes comme Johan van der Keuken et Pierre Hébert.
sergemeurant.be
bela.be/auteur/serge–meurant
L'hommage du Comité
Serge Meurant est poète. Il est aussi un pilier de la mémoire du documentaire belge. Il a accompagné avec générosité plusieurs générations de cinéastes et a mis son talent au service des autres. Bien des auteurs et des autrices aux parcours divers, confirmés ou émergents, ont trouvé en lui une oreille attentive, un œil exercé et la tendresse d’une amitié.
Co–directeur du festival Filmer à tout prix, il a permis au documentaire de rayonner en Belgique comme à l'étranger.
Observateur des Ateliers de réalisation, il a contribué au bon fonctionnement des structures de production et accompagné leur développement. Pour Cinergie et la revue Les Images documentaires, il a écrit avec sensibilité sur plus de 140 films, ce qui constitue en soi une petite encyclopédie de près de 30 ans de cinéma en Belgique.
C’est un artiste, un compagnon, que nous remercions aujourd’hui en lui décernant ce prix «Âme sœur». Lui qui écrivait pour ses amis ces quelques vers
qu’aujourd’hui nous lui retournons :
Il faut pour vivre
l’amitié
de la distance
Il faut pour questionner
le retrait de celui
qui remercie
Pour toutes ces années à nos côtés, merci du fond du cœur Serge !
Emmanuelle Bonmariage, Jérôme Laffont, Jérôme Le Maire, Isabelle Rey, et Nina Toussaint, membres du Comité belge de la Scam
Serge Meurant, Poète dans le cœur des cinéastes
Artiste soucieux des autres, Serge Meurant a veillé à la solidité des ponts entre institutions et créateur·trices, tout en accompagnant formidablement nombre de documentaristes. Avec générosité et sensibilité.
Quel mot trouver pour dire Serge Meurant. Non pas l’homme tout entier, ce serait vanité. Mais pour traduire son rôle, crucial, dans le cinéma documentaire belge. Rouage ? Manque d’âme. Courroie de transmission ? Finit toujours par lâcher. Intermédiaire ? Trop tiède. Entremetteur ? Relents de calcul. Accordeur ? Nous approchons. Il y a là l’oreille, la connaissance, le savoir–faire subtil. Mais cela reste trop technique. On n’y entend pas le cœur. Où est–il ? Sur la main. Oui, la main sera la synecdoque la plus juste pour dire Serge Meurant. Ni petite main, ni main lourde. Mais grande main, côté paume. Celle qui dit vient, celle qui accompagne, se pose sur l’épaule. Celle qui donne, celle qui tend. Mais qui s’écarte, aussi, pour laisser passer.
Et celle, bien sûr, qui écrit.
La poésie comme un souffle
Serge Meurant est poète, viscéralement, constitutivement poète. Lui qui est né dans une famille d’artistes s’est mis à écrire de la poésie à l'adolescence et n’a jamais cessé, depuis, cet « exercice vital ». Sa poésie, « toujours jaillie de la vie concrète » se pose sur les événements de sa vie, et celles des autres qu’ils lui soient inconnus, amis ou proches. Son œuvre buissonnante s’est encore parée d’un nouveau bourgeon éclos en septembre dernier, Empreintes, aux éditions Le Cormier.
« S’il me fallait faire le portrait du poète que je suis, je le montrerais comme quelqu’un de peureux, de timoré même, qui tout à coup par la pratique de sa création, se trouve illuminé, transporté par quelque chose d’inconnu, d’immense et d’audacieux », décrivait–il dans un Ciné Poème où il dialoguait avec Johan van der Keuken. Il ajoutait, peu après, « cette parole minime qui émerge dans mes poèmes, avec ses obscurités, ses lacunes, me paraît finalement plus proche des gens, plus fraternelle que cette autre parole prête à porter que véhicule le discours. »
S’approcher, tenter de saisir, de dire, de traduire le réel. C’est ce mouvement frère que Serge Meurant a trouvé chez le cinéaste et photographe Johan van der Keuken. Lorsqu’ils se rencontrent, en novembre 1981, le documentariste néerlandais est encore peu connu, si ce n’est des cinéphiles. Ce sera le début d’une longue amitié, riche et fertile. Un tournant, aussi, dans la vie du poète. « Avant de le rencontrer, je n’avais qu’un intérêt modéré pour le documentaire. C’est quelque chose de l’ordre de la rencontre qui s’est passé entre nous, et même de l’affection. [...] Dans les films qu’il avait déjà réalisés, il s’était intéressé à des poètes, à des peintres, et d’une manière qui correspondait aussi à ma vision du monde : c’est–à–dire que la réalité n'est jamais onnée, que la réalité est opaque et mérite travail pour la rencontrer », explique–t–il dans un court film diffusé en 2008 sur Cinergie, intitulé Johan van der Keuken par son ami Serge Meurant.
Le documentaire à tout prix
Serge Meurant a œuvré toute sa vie en faveur des cinéastes belges. Maillon vital de la chaîne de création, de manière formelle et informelle. Formelle parce qu’il a été, au sein du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel, secrétaire de la Commission de sélection des Films de la Communauté française de 1985 à 2000, puis directeur artistique du festival du documentaire Filmer à tout prix jusqu’en 2008. Et il a été l’observateur des Ateliers de réalisation pour la Communauté française jusqu’à sa pension. Il a donc croisé tous les auteurs et les autrices de documentaires en Belgique. « C’est un être de rencontres, dit Massimo Iannetta, l'un de ses grands amis, codirecteur de Filmer à tout prix. Il n’a jamais eu une attitude purement administrative, que du contraire. Il a toujours cherché à faire en sorte que ce soient les processus de subsidiation et de production qui s’adaptent aux producteurs ‒ petits dans le cinéma artisanal qu’est le documentaire ‒ et pas le contraire. En étant toujours d’une grande cohérence. Il est resté dans le cadre institutionnel tout en étant fidèle à ses principes. C’est un créateur, donc quand on parle de création, il sait de quoi on parle. Il sait les difficultés existentielles, pratiques, financières, matérielles des cinéastes. Et il a toujours su œuvrer à une résistance tranquille pour que les auteurs et les autrices soient libres, indépendant·es. » Difficile mission qu’il a accomplie avec brio : faire le lien en comprenant les missions des administrations et les points de vue des créateur·trices.
Sa patte, sa marque singulière et précieuse s’est imprimée aussi au plus profond du parcours des cinéastes, et a laissé, souvent, un terreau de gratitude. Son investissement informel sur les projets a guidé, épaulé, éclairé nombre de documentaristes.
« Serge, c’est l’ami des artistes. C’est quelqu’un qu’on pouvait aller voir avec un projet et qui faisait des retours francs, construits, intellectuellement intéressants. Qui est généreux par son temps. Quelqu’un sur lequel on peut compter. C’est vraiment un compagnon dans le sens le plus étymologique : toujours là, un appui sûr. Si ça va mal, il est là. Nous sommes nombreux à pouvoir dire la même chose », éclaire le cinéaste Jérôme Laffont. Sa relation avec Serge Meurant s’est étoffée ‒ jusqu’à devenir amicale ‒ à l’occasion de son 2e film, Les Mains libres. « C’était sur un graveur flamand et ça lui parlait car il a consacré sa carrière à mettre en avant ses amis artistes. Il a relu le dossier, il est venu au montage, il a écrit sur le film après. Pendant l’écriture on s’est vus pendant des heures pour questionner le fond, la forme. Il m’a fait énormément avancer, tel un parrain », enchaîne–t–il.
Poète reconnu, monument de connaissances historiques, littéraires, cinématographiques, artistiques, qui a croisé une quantité phénoménale d'auteurs et d’autrices, l’homme est pourtant de ces rares qui laissent beaucoup de place à l’autre, dotés d’une écoute incroyable. Capable, aussi, de transcrire avec une intransigeante finesse le travail, l’approche des uns et des autres. Cinergie regorge de ses textes instruits.
En quelques mots plutôt qu’en un : un artiste qui sait accueillir, recueillir et faire jaillir la parole créatrice.
Cécile Berthaud