Anne Crahay et Loïc Gaume, lisez-vous le belge ?
Quel rapport les auteurs et autrices entretiennent-ils avec la littérature de Belgique francophone ? Dans le cadre de l'opération "Lisez-vous le belge", nous avons eu envie d'en savoir plus et avons proposé à des auteurs et autrices de roman, de BD, de théâtre, de livre jeunesse et de poésie de répondre à un petit questionnaire à ce sujet. Anne Crahay et Loïc Gaume forment le premier duo de cette série, et nous les remercions pour leurs confidences, à lire ici !
1. Avez-vous une citation fétiche tirée d’un livre d’un auteur ou une autrice belge ?
Pendant très longtemps, j’ai gardé les cadavres d’animaux. Au gré des sentiers, de la E42 ou des petits cadeaux du chat, je ne saurais dire pourquoi, ils s’accumulaient dans mes « boites à morts ». Fascination pour cette petite collection puante, allant du gris cuir au blanc d’os.
Dans Le ventre de la baleine, une pièce de Catherine Daele, il y a des mots qui touchent à cette étrangeté profondément vivante en moi.
Un mort, pour lui donner la vie, tu le prends tout raide debout.
Tu le retournes sur sa tête. Puis t’attends. T’attends, t’attends – plus longtemps que 1h00 à 180°C au four – T’attends. T’attends jusqu’à ce que par ses poils, il prenne racine en dedans de la terre. C’est quand ses poils sont devenus racines en dedans de la terre qu’il reprend sa vie. Et parfois, des fois, il devient un arbre. Et si le pivert vient lui toquer l’écorce, lui faire un petit trou dans le tronc, Il te restera juste à souffler dans le trou, pour donner ton air.
Catherine Daele, Le chant de la baleine – Lansman Éditeur
2. Quel livre ou œuvre littéraire belge auriez-vous aimé écrire ?
J’aurais aimé écrire La faute de l’orthographe de Jérôme Piron et Arnaud Hoedt. Un texte intelligent qui suscite de joyeux débats et éclaire d’un jour nouveau notre relation d’amour / haine à l’orthographe.
Une invitation bienveillante à la réflexion autour de cet instrument de pouvoir qu’est l’orthographe. L’occasion d’explorer, à contre cœur, ce sentiment inavoué de supériorité, lorsque je lis un texte où traîne quelques erreurs d’accord. Mais aussi ma honte, lorsqu’un mail parti trop vite, emporte avec lui un « r » de trop.
Un spectacle drôle, qui se moque de notre attachement à ces règles, perçues comme le socle de notre langue, et qui, pour certaines, trouvent leur origine dans la distraction d’un moine copiste.
3. Où aimez-vous faire une résidence d’écriture en Belgique ?
J’écris des images. Je dessine des histoires. Cela peut avoir l’air d’une petite formule jetée en l’air, mais c’est plus que ça. Pour moi, partir en résidence signifie déménager. Emporter mes rituels, l’odeur du feu, le chat, les poules, et la vie du jardin. Déplacer la lumière de mon atelier, ma collection de papiers abîmés, les pigments, les gouaches, la presse, le porte-mine de Jean, la trousse de John (celle où il a brodé ski alpin), la photo de mon père.
Si vous aperceviez, entre champs et forêt, juste avant la Fagne, une grange de pierre et de bois, ce serait peut-être le lieu que je recherche pour tenter une résidence au long court.
4. Y a-t-il un lieu, une époque, un folklore, une spécialité (culinaire) typiquement belge qui vous inspire ?
La salade russe, comme son nom ne l’indique pas, est une spécialité de la région de Malmedy. Je l’associe au carnaval, à ses excès, à la brûlure de la neige et de l’alcool. Un plat mal élevé, rose vulgaire. L’œuvre de tous les excès, annonçant la mort à venir de l’hiver et la résurrection des corps émergeant des vapeurs de la fête.
J’aime son audace : pommes, harengs, cornichons, noix, œufs, pommes de terre, mayonnaise et betterave, pour un rose à la limite du comestible.
J’aime le temps infini que demande sa préparation, comme elle réunit les gens et répare les corps, comme elle se partage dans le grand saladier au centre de la table.
J’aimerais que mes mots et mes images gagnent un peu de sa justesse et s’émancipent, tout comme elle, du besoin de plaire.
5. Par quel.le autre auteur ou autrice belge aimeriez-vous qu’un de vos ouvrages soit lu ?
Je rêve de Laurence Vielle. J’aime son timbre si particulier, sur le fil, avec comme une urgence de dire. J’aime l’intimité et l’intensité des silences, quand elle s’empare d’un texte. Elle raconterait mes images et lirait mes mots à voix haute. Il ferait sombre et ce serait comme une veillée.
6. En quel personnage littéraire aimeriez-vous vous transformer pour une journée ?
Enfant, je rêvais beaucoup dans les planches de Sibylline. L’univers du bosquet joyeux de Raymond Macherot m’émerveillait.
Aujourd’hui encore, les nuits sans sommeil, fenêtre ouverte, entortillée dans la couette, je goûte l’air frais sur mes joues. Je respire la pluie sur le lilas et j’écoute attentivement les bruits du dehors. D’abord les sirènes et le flux des voitures au loin, puis, avec un peu de patience, une brindille craque... la course d’un mulot, l’ondulation sourde de la fouine ou parfois un hululement.
Je m’endors au creux d’un tronc, avec moi, Sibylline et Mélatonine.
Pour en savoir plus sur Anne Crahay, rendez-vous sur sa page Bela !
1. Avez-vous une citation fétiche tirée d’un livre d’un auteur ou une autrice belge ?
Il m'arrive de piocher dans le vocabulaire du Capitaine Haddock avec mes fils, pour rire : «moule à gaufres» ou «marin d’eau douce» !
2. Un album jeunesse et une bande dessinée d’auteurs.trices belges ?
L’ombre de chacun de Mélanie Rutten et Paysage après la bataille d’Éric Lambé et Philippe de Pierpont.
3. Où aimeriez-vous faire une résidence d’écriture en Belgique ?
J’ai eu la chance de faire une résidence sur l’île de Comacina sur le lac de Côme pour écrire Mythes au carré : une île belge en Italie ! C’était un cadre idéal pour l’écriture, entouré de montagnes. En Belgique, ce serait dans un environnement tout aussi retiré et naturel : la forêt ardennaise.
4. Y a-t-il un lieu, une époque, un folklore, une spécialité (culinaire) typiquement belge qui vous inspire ?
Une personnalité. Étudiant, j’ai découvert le travail de Marcel Broodthaers à travers ses livres d’artiste que j’avais consultés à la Bibliothèque Royale. Son travail associant idées-mots-images est inspirant, cela me «parlait», même si à l’époque je n’en saisissais peut-être pas tout l’humour et la consistance.
Un lieu. Le pier de Blankenberge pour son architecture désuète, témoin d’une période passée. Il m’a inspiré un livre qui reprend tous les piers de la côte anglaise.
Le nom d’une spécialité. Wafel («gaufre» en néerlandais) m’a inspiré le nom des récits que je dessine quotidiennement depuis des années. Au tout début, je dessinais dans des petites vignettes carrées qu’on appelle «gaufrier» en bande dessinée.
5. Un.e auteur.e belge qui vous a aiguillé, et/ou déterminant pour votre carrière ?
Pascal Lemaître. Il m’a beaucoup apporté, à La Cambre et encore maintenant que je suis passé du côté des professeurs, par l’intelligence de ses remarques, par sa pratique, son trait. L’exposition récente de ses dessins à la Bibliothèque Solvay a été une gifle, elle a suscité le besoin de dessiner plus.
Pour tout savoir sur Loïc Gaume, lisez vite sa fiche Bela !
Pour aller plus loin
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