Contrastes, déséquilibres et extrêmes, 2023 dans le rétroviseur

En 2023, la Scam n'a cessé de se mobiliser pour que le travail des auteurs et autrices soit mieux considéré et soutenu. Mais quelles ont été concrètement les principales réalisations de ces derniers mois ? Quels sont nos champs d’action pour les mois à venir ? En cette semaine de rentrée, Frédéric Young nous invite à faire le point sur l'année écoulée.

Qu’avez-vous préféré de 2023 ?

Poser cette question, ces jours-ci, semble laisser mes interlocuteur·ice·s incertain·e·s, incapables de réaliser sans réticence un tel retour sur les mois écoulés, de pointer une réalisation précise ou un moment particulier qui ferait bonheur, ou fierté, ou même espoir simplement.
A l’aune des guerres qui se sont installées aux frontières de l’Europe, des populismes qui submergent ses parlements et ses gouvernements, de la fin inéluctable de notre modèle sociétal distribuant hyperconsommations destructives et inégalités croissantes, des brutales ruptures technologiques dominées par une nouvelle ruée aux profits, je partage leur malaise. 

Alors, avons-nous baissés les bras ?

Non, avec le Comité belge de la Scam et sa petite équipe bruxelloise, avec nos collègues et ami·e·s de France, nous avons travaillé avec énergie à réaliser nos objectifs, malgré ce contexte qui présente bien des périls et des questionnements sans réponse appropriée.
Nous avons agi collectivement, avec vous, pour assurer et distribuer les récoltes des actions antérieures et pour labourer et semer celles qui seront encore plus nécessaires demain à la communauté des auteurs et des autrices que nous souhaitons servir avec éthique et engagement.

Voici, en cette fin 2023 nos principales réalisations et nos champs d’action pour les mois à venir :

Pour nos auteurs et autrices de l’audiovisuel :

• Nous avons conclu de nouveaux accords de rémunération satisfaisants avec la VRT, Telenet, DPG, Orange, ou encore M7. 
  L’accord avec la VRT porte sur 15 années, et intègre l’extension d’activité du service public flamand dans la mise en ligne de vos œuvres (VRT Max). 
  Les premières perceptions découlant de ces accords ont été réalisées et commencent à vous être réparties ;
• Nous avons récolté et réparti les droits contractuellement prévus auprès de tous les autres radiodiffuseurs et opérateurs audiovisuels, en ce compris les grandes plateformes et réseaux. Aujourd’hui, la Scam collecte et vous retourne vos rémunérations selon l’exploitation de vos œuvres auprès d’une centaine d’opérateurs (français et belges) différents et via des accords de représentation dans 27 pays. Notre récolte 2023 est la plus haute jamais réalisée. 
• Après un fort investissement dans les discussions relatives au contrat de gestion de la RTBF en 2022, nous avons pris à nouveau une large part dans les expertises et les négociations professionnelles et politiques qui ont permis l’adoption d’une nouvelle grille de contribution des opérateurs audiovisuels développant leurs activités sur le marché belge francophone comme RTL ; quelque 10 millions d’euros supplémentaires d’investissements dans la création audiovisuelle et quelques autres missions sont attendues d’ici 4 ans, au terme de la montée en charge prévue par le Décret « SMA » adopté il y a quelques jours par le Parlement de la FWB;
• Nous avons défendu auprès de la Cour constitutionnelle vos droits à rémunération incessibles pour streaming et pour plateformes de partage, droits acquis à l’été 2022 lors de la transposition en Belgique de la directive 2019/790, et attaqués ensuite par Google, Meta, ou encore les majors de la musique comme Universal ; ce dossier se poursuit bien sûr en 2024.
• Nous avons aidé à établir et à faire avancer une nouvelle forme de négociation collective en Belgique pour les « freelances » à qui la RTBF avait proposé début 2023 des contrats illégaux, tant dans la forme que dans les termes exigés, abusant ainsi de sa position dominante. Il s’agit principalement de travailleurs et travailleuses créatif·ve·s ou journalistiques repoussé·e·s hors des liens contractuels usuels de salarié·e·s par la RTBF et dont nous avons assuré la défense commune avec l’interprofessionnelle Pro Spere et les syndicats FGTB et CSC. En cette fin d’année, une seconde négociation, similaire, s’est ouverte pour un groupe de journalistes également placé par la RTBF dans cette précarité ultra-flexible qui interroge sur le modèle de service public de l’audiovisuel que semble laisser s’installer la majorité actuelle.
  Ce dossier sera repris dès le mois de janvier.
• Nous avons été très actif·ves au sein de la Chambre de concertation du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel et de ses groupes de travail. Nous avons travaillé notamment sur la situation de la création documentaire,  sur les conditions de travail dans le secteur audiovisuel, négocié le nouveau contrat type avec la RTBF, réfléchi au fonctionnement général de la Commission du film, confrontée à une forte croissance du nombre de dossiers soumis.
• Nous avons constamment relayé les revendications des auteurs et autrices du secteur de la création sonore pour que soient dégagés de nouveaux moyens de soutien, plus stables que par le passé. Ce secteur pourtant mondialement porté par la vague du « podcast » reste bien trop négligé par la FWB, qui demeure sans vision de filière malgré le fort potentiel de développement manifeste ;

Pour nos auteurs et autrices des écritures et du livre (romans, BD, livres illustrés, essais, ouvrages scientifiques ou journalistiques,...) :

• Nous avons publié en janvier 2023, sous la responsabilité de l’asbl Bela, financée à cette fin par le SGL, une étude sur la situation socio-professionnelle des auteurs et autrices de livres, et l’avons accompagnée de points d’attention et dispositifs souhaités pour mieux soutenir et insérer les écrivain.es dans la filière des Ecritures et du Livre à un moment crucial de son évolution en Belgique francophone (https://www.scam.be/images/CDR/5.Publications/Etudes_Reco_DEF.pdf).
• Hélas ce vaste travail n’a manifestement pas retenu l’attention du Gouvernement de la FWB au moment d’élaborer son cadre budgétaire 2024/2025. Les dotations « Lettres et livres » ont été écartées des refinancements possibles (« pas leur tour »), réduisant encore leur poids microscopique dans l’ensemble des dépenses cultures (4 millions sur 1 milliard d’euros !). Nous avons donc relayé la réaction scandalisée de nombre de nos membres, sans pouvoir modifier un déséquilibre dénoncé par le Conseil Supérieur de la Culture ou encore la presse (Voir le Soir du 10/11/2023).
• Dans ce contexte de disette budgétaire perpétuelle et face à l’écart grandissant entre le travail investi dans la création d’ouvrages par les auteurs et autrices et les revenus de droits d’auteur versés par les éditeurs, nos répartitions de droits pour reprographie, copie privée ou prêt public prennent une importance croissante. La Scam est la première société de gestion des auteurs et autrices de livre et de BD, plus consciente que jamais de sa responsabilité envers ce groupe de membres, qui seront les premiers et premières à être impacté.es par les effets négatifs des IA génératives ; il est frappant de constater que le sort de dizaines de milliers d’auteurs et autrices de livres indiffère les services de la Commission européenne en charge du Droit d’auteur ou de la Concurrence. Ces acteurs et actrices essentielles et premiers dans tous les sens du terme de la plus importante industrie culturelle européenne n’existent pas dans leurs raisonnement et analyses. Cela devra changer en 2024, et l’investissement de la Scam Belgique dans la fédération European Writers Congress (EWC), installée à nouveau à la MEDAA, en sera un des moyens concrets.
• Mais d’autres moyens existent et nous les développons aussi : nos répartitions ont été accrues et systématisées autant que possible, un grand nombre de bourses de soutien à l’écriture y ont été ajoutées pour tous les membres ayant publié un ou plusieurs ouvrages dans les deux dernières années. 
• Nous avons publié une version mise à jour de notre Charte de rémunération des auteurs et autrices littéraires pour leurs prestations excercées dans la continuité de leur activité artistique en Belgique, pour tenir compte tant de l'inflation que de la réforme de la fiscalité : des tarifs de référence pour visibiliser le travail des auteurs et autrices, mais aussi renforcer leur carrière professionnelle et leur accès à la protection sociale.
• Nous avons lancé en octobre 2023 notre première formation et accompagnement de la Belacadémie (asbl Bela). 15 auteurs et autrices mobilisé.es pendant 9 journées entière, 17 formatrices et formateurs, une méthodologie complète, alliant aspects professionnels, juridiques, financiers et bien sûr artistiques. Un succès enthousiasmant qui devrait se prolonger par deux autres sessions en 2024.

Pour tous nos auteurs et autrices :

• La Scam a été reconnue fédération professionnelle par le Gouvernement fédéral et nous avons pu proposer des personnes pour siéger dans la nouvelle Commission du travail des arts (processus WITA). Son expertise a été utile pour améliorer la mise en place du nouveau régime de protection sociale des travailleurs et travailleuses des arts.
  Nous avons organisé plusieurs ateliers pour exposer le nouveau contexte légal et règlementaire et recueillir les difficultés et questions de nos membres ;
• Le Comité Belge a recherché les meilleurs moyens d’aider nos membres avec les ressources d’action culturelle dont il dispose. Ainsi il a distribué de nombreuses bourses dans tous les répertoires. Dans le cadre de son action culturelle, la Scam a soutenu des ateliers, des rencontres, des séances de pitchs, organisés avec des partenaires ( le P’tit Ciné, Millenium, le BAFF, le SIC…) dans le but encore une fois d’aider les auteurs et les autrices et de leur donner de la visibilité.
• La MEDAA a été ouverte plus de 200 jours, offrant avec hospitalité son coworking et ses salles de réunion aux membres et à leurs associations belges ou européennes. Cette expérience sert de modèle à l’établissement d’autres maisons d’auteurs et autrices, comme la future « Turbine Ecritures » à Marseille.
• Alors que les partis politiques se préparaient en interne déjà aux élections de 2024, nous leur avons transmis, dès l’été passé, une plateforme de propositions précises. Nous avons pu les présenter lors de diverses réunions et constater qu’elles étaient bien accueillies. Nous les préciserons encore d’ici les scrutins, pour préparer au mieux les futures discussions qui mèneront aux déclarations gouvernementales 2024/2029.
• L’irruption sur le marché grand public des services commerciaux d’IA génératives, comme Chat-GPT (OpenIA/Microsoft), Bard (Google) ou Midjourney, a immédiatement engendré des actions d’analyse professionnelle et juridique afin de tenter de comprendre ces nouveaux outils numériques massivement soutenus par plusieurs Etats membres de l’UE (Allemagne, France, Italie) et surtout les effets qu’ils ont sur les œuvres, les droits et les activités de nos membres. La position des services de la CE européenne à leur sujet a été une nouvelle démonstration de leur incapacité inquiétante à prendre en compte les intérêts légitimes et la protection à haut niveau des auteurs et des autrices que prévoient les cadres légaux applicables. Les urgences sont multiples face aux évolutions fulgurantes de ces technologies, et les mobilisations et actions seront certainement nombreuses en 2024.

 Donc vous avez atteint vos objectifs ?

En tant que collectif solidaire d’auteurs et autrices, il me semble que oui, nos différentes missions ont été menées à bien. La Scam s’est d’ailleurs réorganisée, en Belgique, en 2023 pour poursuivre ses actions avec les mêmes standards de qualité et un nombre croissant de membres dans les prochaines années.
Notre conviction est que dans un monde incertain, ses moyens d’action et son expertise sera plus que jamais nécessaire, tant de situations déséquilibrées et précarisantes restant à corriger ou à éviter.

Frédéric Young, délégué général de la Scam