Focus sur Effi & Amir, Prix Scam du Parcours Documentaire en 2021
« C’est une œuvre riche, foisonnante, interpellante, que nous saluons (...), avec l’espoir et la certitude que ce cinéma continuera de nous bousculer et de nous étonner. » : quelques mots pour commencer à décrire le travail d'Effi & Amir, que le Comité belge de la Scam a récompensés de son Prix du Parcours Documentaire en 2021. À cette occasion, nous leur adressons nos plus chaleureuses félicitations, et vous proposons de lire l'éloge du Comité ainsi qu'un entretien passionnant des cinéastes avec Aliénor Debrocq.
Effi & Amir
Effi (née en Israël, 1971) et Amir (né en Israël, 1969) sont un duo d'artistes-cinéastes travaillant ensemble depuis 1999 et vivant à Bruxelles depuis 2005.
Leur travail varie entre vidéo, performance et projets participatifs et porte sur les identités collectives et sur la manière dont celles–ci sont construites, notamment par rapport à la notion de lieu. Leurs œuvres sont présentées en Belgique et au-delà, tant dans des espaces artistiques que des festivals de cinéma.
L'hommage du Comité
Effi & Amir forment un duo d’artistes visuels depuis plus de vingt ans.
Il et elle traversent les genres : installations vidéo, performances, projets participatifs, films documentaires. Leur cinéma est en recherche permanente, il explore les répertoires, les mêle. Leur caméra est curieuse, ingénieuse, créative.
Extrêmement prolifiques, il et elle ne s’arrêtent jamais ; comme ne s’arrête jamais leur indignation sur le monde. Interrogations sur l’identité, le langage, sur ce qu’est un territoire, sur les frontières qui enferment. Deux fois le même fleuve revenait sur leurs propres origines, Sous la douche, le ciel témoignait d'une expérience de solidarité humaine tandis que Chance racontait l'incroyable courage nécessaire à ces jeunes qui tentent de gagner une vie meilleure. By the throat, leur dernier film, est une expérience fascinante qui nous emmène au fond de notre cavité buccale, là où se dessine une part de notre identité. Quand la langue peut sauver ou trahir.
C’est une œuvre riche, foisonnante, interpellante, que nous saluons aujourd’hui par ce Prix du Parcours, avec l’espoir et la certitude que ce cinéma continuera de nous bousculer et de nous étonner.
Emmanuelle Bonmariage, Jérôme Laffont, Jérôme le Maire, Isabelle Rey, et Nina Toussaint, Membres du Comité Belge de la Scam
Effi & Amir, duo engagé
Originaires d’Israël, où ils ont étudié les beaux–arts, installés à Bruxelles depuis 2005, Effi & Amir forment un duo d’artistes–cinéastes depuis plus de vingt ans. Leur travail s’articule volontairement à la croisée de plusieurs disciplines ‒ performance, vidéo, cinéma documentaire et projets participatifs ‒ et porte sur les identités collectives et la manière dont elles sont construites...
Vous travaillez ensemble depuis 1999, comment ça se passe concrètement ?
Effi : On est en couple depuis plus de 20 ans et on fait tout ensemble, dans la discussion. C’est le plus gros de notre travail : verbaliser !
Amir : Chacun de nous possède ses forces dans tel ou tel aspect de l’écriture et de la production, mais ça varie à chaque projet. Le danger est aussi qu’avec le temps, on voit les choses plus ou moins de la même manière, ce qui peut être désavantageux car on resserre un peu l’angle de vue. On finit par avoir une manière commune de voir le monde. On gagne des choses d’un côté, on en perd de l’autre.
Comment parvenez–vous à convoquer l’altérité autrement ?
Effi : Quand on a commencé en duo, c’était une petite rébellion, alors qu’aujourd’hui c’est devenu très courant. Au fur et à mesure, on a compris l’intérêt de convier d’autres personnes – monteur, ingénieur du son, mixeur, étalonneur – car on a compris qu’on n’était pas les meilleures personnes pour tout faire. Ce qui nous intéresse le plus, c’est de travailler avec des personnes qui ne sont pas artistes, qui n’ont ni l’expérience ni le désir de l’être. On invite ces gens non pas pour réaliser nos idées, mais pour trouver d’autres manières de travailler.
Amir : On garde nos casquettes multiples pour échapper aux définitions, aux catégorisations. Notre dernier film parle d’ailleurs de ça aussi.
Que représente ce prix décerné par la Scam ?
Effi : Bruxelles constitue un ancrage très important. On a commencé à faire du cinéma à notre arrivée en Belgique : avant, on faisait de la vidéo et des créations davantage identifiées comme relevant du domaine des arts plastiques. Cette évolution est fort liée aux opportunités et aux contacts noués ici : c’est une manière de travailler et de réfléchir qu’on a apprise. En ce sens, c’est très important pour nous d’avoir cette reconnaissance de la Scam. Tant au niveau des sujets traités qu’au niveau personnel, en tant qu’immigrants, c’est important de se sentir reconnus : ça confirme qu’on est les bienvenus.
Amir : En Belgique, on est entourés par un système de production assez rare, dans lequel les institutions nous permettent de faire des films documentaires comme on le souhaite, tandis qu’ailleurs, il faut souvent passer par un système de production télévisuel contraignant.
Il est difficile de résumer By the throat, votre dernier film. Vous y rendez visibles des violences peu médiatisées...
Effi : En général on s’intéresse plus aux idées qu’aux récits. Nos films se penchent plutôt sur un concept dont on essaie de comprendre les implications. By the throat parle de la violence des identités non choisies, de la catégorisation qu’on nous impose, des frontières, des migrations à la dysphorie de genre.
Amir : Même Sous la douche, le ciel (2018), qui était soi–disant plus narratif et traditionnel, ne nous intéressait pas en tant que narration seule : nous voulions développer les grandes idées liées au projet.
Quel a été le point de départ de ce dernier long métrage ?
Amir : Chaque film a son moment de naissance. Pour By the throat, le point de départ a été une résidence d’artistes en Irlande du Nord, dans un village catholique. On y passait toutes nos matinées dans un petit café – le seul endroit qui disposait d’une connexion Internet. On a commencé à discuter avec le tenancier de ce café, un professeur à la retraite qui nous a expliqué de quelle façon les Irlandais pouvaient distinguer un catholique d’un protestant par la manière dont était prononcée la lettre « h ». Cela nous a renvoyés au terme « Schibboleth » en hébreu, et ça a marqué la genèse de ce projet.
Effi : Ça faisait écho à une réflexion qui nous occupe de longue date sur les identités collectives, ou comment les individus subissent ces assignations, comment ces identités se construisent et comment on peut essayer d’y échapper. C’était comme un nouvel angle pour montrer que ces pratiques sont universelles, pas cantonnées à une région spécifique.
Dans votre premier long métrage, Deux fois le même fleuve (2013), le processus de recherche était très présent, ce qui est moins le cas récemment ?
Effi : C’était notre histoire, on en était les protagonistes. Depuis lors on a peut–être trouvé la paix par rapport à nos questionnements personnels, alors on est plus ouverts à d’autres problématiques, on a fait le chemin de se mettre en retrait. Quand on décide de faire partie du cadre, d’être présents dans l’image, c’est qu’on souhaite prendre un certain risque qu’on ne peut pas imposer aux personnes qui font partie du film. C’est un choix éthique.
Dans Housewarming (2016), on souhaitait proposer un scénario d’immigration dans le sens opposé, de l’abondance à la frugalité, de la richesse à la pauvreté. C’était une position assez provocatrice : on ne pouvait pas demander à quiconque de jouer cela à notre place.
Amir : Il n’y a pas de principe général, c’est différent pour chaque film. Rien n’est définitif, on pourrait revenir dans l’image au prochain film. C’est toujours important pour nous de montrer la recherche en cours, le travail filmique, le cadre.
Si on regarde l’ensemble de votre parcours, chaque projet répond à une logique et une pratique différentes...
Effi : On ne travaille jamais deux fois de la même manière (rires). Le projet définit la forme et le dispositif qu’on met en place. By the throat (2021) est très écrit tandis que Chance (2020) s’appuie sur une histoire globale, à l’intérieur de laquelle tout était improvisé. Éthiquement, c’était la seule manière possible de faire ce film, pour laisser aux migrants la liberté de tout décider.
Amir : C’était un film fait dans l’urgence d’une situation qu’on voulait absolument porter avec ces jeunes migrants. Il y a de notre côté un vrai désir de chercher chaque fois d’autres manières de travailler, un langage spécifique, de relever des défis. Sinon ça devient banal et on n’a pas envie d’appliquer des « recettes », de se répéter.
On ne peut pas commencer à travailler en ayant l’impression qu’on connaît déjà la réponse à la question qu’on se pose, ni la manière de travailler. Pour nous, la création se fait dans ces moments de recherche sonore et visuelle.
Entretien mené par Aliénor Debrocq
Pour aller plus loin
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