Focus sur Geneviève Damas, Prix Scam-SACD Lettres & Spectacle vivant en 2021
« Son style épuré, minimaliste, doux mais tranchant (comme peut l'être une feuille de papier) frappe le cœur et l'âme» : quelques mots pour commencer à décrire le travail de Geneviève Damas, que les Comités belges de la Scam et de la SACD ont récompensée d'un Prix commun en 2021. À cette occasion, nous lui adressons nos plus chaleureuses félicitations, et vous proposons de lire l'éloge des Comités ainsi qu'un entretien passionnant de la créatrice avec Cécile Berthaud.
L'autrice
Après une licence en Droit, Geneviève Damas suit une formation de comédienne à l'IAD puis se tourne vers différents métiers du théâtre. Elle crée en 1998 la Compagnie Albertine. Autrice d’une vingtaine de pièces, elle en a publié sept aux Éditions Lansman. En 2004, Molly à vélo reçoit le Prix du Théâtre du meilleur auteur et STIB, publiée en 2007, le Prix du Parlement de la Communauté française.
Elle est également l’autrice de six romans et d’un recueil de nouvelles.
En 2011, son premier roman Si tu passes la rivière (Luce Wilquin) reçoit le Prix des Cinq Continents de la Francophonie. Jacky, publié en 2021, est son troisième roman aux Éditions Gallimard.
L'hommage du Comité
La SACD et la Scam sont particulièrement heureuses de saluer conjointement le travail de Geneviève Damas.
Femme de théâtre, à la fois actrice, metteuse en scène, autrice, elle porte à la scène ses textes tels que Molly à vélo, Molly au château, STIB et plus récemment La Solitude du mammouth.
Elle est également l'autrice de plusieurs romans. Son premier titre, Si tu passes la rivière, édité chez Luce Wilquin en 2011 a notamment reçu le Prix des Cinq Continents et le Prix Rossel. Ensuite, ce sont les éditions Gallimard qui publient ses romans Patricia, Bluebird et récemment Jacky (qui a reçu le Prix d'honneur Filigranes 2021).
Depuis une vingtaine d'années, elle organise avec sa Compagnie de théâtre Albertine, les formidables soirées Portées-Portraits qui mettent à l'honneur des textes d'auteurs et d'autrices contemporain.es souvent issus du répertoire belge et contribuent notamment à initier le public scolaire à la littérature.
Aujourd'hui, elle est artiste associée au Théâtre Les Tanneurs.
Geneviève Damas est une femme entière, intègre. Dans toute son œuvre, elle a l'art de donner la parole à celles et ceux qui n'ont pas toujours droit de cité dans nos sociétés. Son style épuré, minimaliste, doux mais tranchant (comme peut l'être une feuille de papier) frappe le cœur et l'âme.
Nous disons : vive Geneviève Damas !
Isabelle Wéry, membre du Comité belge de la Scam et Marie-Paule Kumps, membre du Comité belge de la SACD
Geneviève Damas, Du vent debout au vent en poupe
En 2021, son dernier roman Jacky est paru chez Gallimard et sa dernière pièce de théâtre Quand tu es revenu, qu’elle a écrite et qu’elle joue, a été créée à Bruxelles. Cela n’étonne personne. Geneviève Damas est installée dans le paysage culturel belge. Ce n’était pourtant pas couru d’avance.
Geneviève Damas, c’est le syndrome de la patineuse artistique. Ça a l’air si facile. Toujours pleine d’énergie, toujours attentive à l’autre, des créations foisonnantes, du plateau et du bureau, des soirées culturelles, des engagements sociaux, quatre enfants, un vélo, un casque violet byzantin. Elle est de ces personnes qui sont là où elles devaient être. La route n’était pourtant pas tracée d’avance.
La petite fille née à Charleroi et arrivée à Bruxelles à 3 ans descend d’une lignée où la fibre artistique des femmes a été empêchée. Sa grand-mère – port d’attache et figure cruciale pour elle – a la faveur de travailler. Elle est l’une des premières femmes à suivre des études universitaires de pharmacie. « Et elle jouait magnifiquement du piano. Elle avait, semble-t-il l’étoffe d’une virtuose, mais la question ne se posait même pas », relate l’écrivaine. « Dans ma famille, la culture a une place de culture générale, et c’est tout. Mes parents m’ont emmenée, petite, au cinéma et au théâtre. Mais dès qu’ils se sont rendu compte que je voulais faire du théâtre mon métier, ils m’ont retirée de la petite troupe où j’allais. Après moi, mes frères n’ont même pas été emmenés voir des spectacles. Mes parents étaient très conditionnés dans une conception où l’on ne gagne pas sa vie en faisant du théâtre, où c’est même la mauvaise vie. Ils venaient de familles plus classiques… Eux-mêmes ont été peu soutenus », explicite-t-elle.
La difficile mise à l’eau
Alors Geneviève Damas fait des études de droit. Cinq ans. « Les femmes de ma lignée maternelle avaient des aspirations artistiques qu’elles n’ont pas pu réaliser.
Elles en ont énormément souffert psychologiquement. Je ne voulais pas connaître le même sort. »
Alors, son diplôme de droit en poche, ayant rempli sa part du contrat, elle s’inscrit à l’IAD. L’urgence est bien plus aiguë, en réalité : à 10h, elle termine son dernier examen de droit, à midi elle a trouvé un logement pour quitter la maison familiale. À l’IAD, cela n’a pas été la libération explosive qu’on aurait pu imaginer. À cette époque-là un grand travail sur le corps y est produit, et ça l’a aidée.
Mais elle a avancé pétrie d’inquiétudes, elle a longtemps et beaucoup cherché, il lui a fallu des années, en fait, pour se défaire d’une rigidité ancrée, et trouver la légèreté, la fluidité. Parallèlement, elle est ouvreuse au Théâtre National. Une source colossale d’apprentissages puisqu’elle voyait les spectacles cinq fois, six fois. Puis, à sa sortie de l’IAD, Geneviève Damas enchaîne les assistanats à la mise en scène avec, notamment, Philippe Sireuil et Jacques Delcuvellerie. « Des hommes exigeants. Ça a été très formateur », pointe-t-elle.
Quelques alizés favorables
Reste qu’être assistante, c’est faire advenir le projet du metteur en scène, en mettant de l’huile dans les rouages. Une fonction déterminante mais dans laquelle on n’a pas de voix. Elle commence à écrire pour avoir un espace à elle. Et pour avoir des textes qu’elle a envie de jouer. « Il était hors de question pour moi de jouer du Feydeau, du Madame est servie. Ce que j’avais envie de dire, je ne le trouvais pas dans les textes. J’ai commencé par faire des adaptations de romans, puis j’ai fini par écrire les pièces », raconte-t-elle. Elle voit passer un appel à textes de la SACD pour aller au Festival d’Avignon. Le sien est sélectionné. « Il était bourré de maladresses et de redondances ! ». C’est La Fée au cerf-volant, pièce pour jeune public qu’elle mettra en scène en 2004. La SACD, qui organisait des lectures de textes pendant le Festival de théâtre de Spa, revient vers elle en lui demandant si elle a un texte. Elle dit oui. Et l’écrit. Molly à vélo est né et entame son fabuleux destin. Avec sa part d’improbable.
Geneviève Damas se retrouve donc coincée pendant une heure dans un embouteillage avec Hubert Nyssen, fondateur des éditions Actes Sud, qu’elle doit conduire
à une interview au JT. L’homme parle abondamment, en la croyant bibliothécaire à l’Albertine. Albertine est le nom que Geneviève Damas a donné à sa compagnie, en référence à Marcel Proust. Quand l’éditeur se rend compte de sa méprise et comprend que sa conductrice écrit, il demande à lire Molly à vélo. Elle lui remet le
texte le soir-même à 23h30. Le lendemain à 8h30, il l’appelle : « Geneviève vous êtes un écrivain. » On est en novembre 2004. Elle a 33 ans. Ce sera son premier texte publié (chez Lansman).
À la barre
Elle joue, elle écrit d’autres pièces, elle organise les soirées Portées-Portraits… Et puis arrive le roman. « Je n’avais jamais imaginé que j’allais écrire un roman. Pour moi, le roman c’est la forme littéraire la plus aboutie. Mais c’est aussi la liberté, tandis que le texte de théâtre est toujours très contraignant à cause des contingences pratiques. Je venais d’avoir un fils qui ne dormait pas. Alors je le berçais du bras gauche et je faisais fructifier ce temps en tapant de la main droite. Si tu passes la rivière a été refusé partout. Jusqu’à ce qu’une éditrice, Luce Wilquin, le prenne et le défende. Il a reçu le prix Rossel en 2011 et du coup une couverture médiatique qui m’a fait advenir écrivaine. »
Elle découvre qu’elle a dans le roman une voix différente que dans le théâtre, plus grave. Le Prix des Cinq continents de la francophonie qu’elle obtient pour ce livre l’amène à voyager dans le monde et elle prend conscience d’autres réalités, d’autres auteurs et autrices qui sont pris dans des contextes, des contraintes différentes. « Cela a fait énormément évoluer mon écriture. Après ça, elle s’est davantage ancrée dans le réel », analyse-t-elle.
Aujourd’hui, l’écriture prend de plus en plus de place dans sa vie. Elle doit apprendre à dire non aux multiples propositions – « ce qui est difficile pour moi ». Depuis La Solitude du mammouth, monologue théâtral créé en 2017, elle se sent plus apaisée, réussissant à mettre à distance les jugements extérieurs et ses propres questionnements sur sa légitimité.
Entretien mené par Cécile Berthaud.
Pour aller plus loin
. Visitez sa page Bela et son site www.compagniealbertine.be
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. Retrouvez l'ensemble du palmarès des Prix Scam 2021