Focus sur Lisette Lombé, Prix Scam x SACD 2020
« Avec une énergie rare, elle parle d’expériences, elle parle de vécu, elle parle de tripes et de chaleur » : quelques mots pour commencer à décrire le travail de Lisette Lombé, qui a reçu le Prix Scam x SACD 2020. Découvrez à cette occasion sa bio, mais aussi son éloge écrit par Renaud Maes et un portrait.
L'autrice
Artiste plurielle, passe-frontières, Lisette Lombé s’anime à travers des pratiques poétiques, scéniques, plastiques, militantes et pédagogiques. Ses espaces d’écriture et de luttes s’appuient sur sa propre chair métissée, son parcours de femme, de mère, d’enseignante. En dérivent des collages, des performances, des livres et des ateliers, passeurs de rage et d’éros. Co-fondatrice du Collectif L-SLAM, elle a été récompensée, en 2017, en tant que Citoyenne d’Honneur de la Ville de Liège. Elle vient de remporter le Prix Grenades pour son recueil Brûler brûler brûler (L’Iconoclaste).
. www.lisettelombe.com
. bela.be/auteur/lisette-lombe
L'éloge de Renaud Maes
Lire Lisette Lombé, c’est le rideau qui tombe, le décor qui s’effondre, le maquillage qui coule, l’essentiel qui persiste sur un fil aussi fin que tranchant. Écouter Lisette Lombé, c’est la conclusion d’Alcina, l’enchantement qui prend fin, le spectacle qui s’arrête, le patriarcat révélé, ridicule et brutal. Voir Lisette Lombé, c’est la cicatrice visible, Audre Lorde qui refuse les prothèses mammaires, la peau ni blanche, ni lisse, ni aseptisée, la veine qui trace son sillon brûlant dans les muscles des vivant·es. C’est, pour un gay, écouter le récit de la mort de son premier amoureux… comme il en porte le souvenir. C’est, pour une femme de chambre, lire l’intertexte des discours des maîtres d’hier devenus patrons aujourd’hui… comme elle le connaît tous les jours. C’est, pour un afro-descendant, voir sous des UV les moisissures de la nostalgie coloniale qui ronge les consciences… comme il en a l’expérience. Lisette Lombé rompt le jeu, brise les projecteurs. Elle mesure les distances infinitésimales qui servent à dire qu’un abime nous sépare; puis déclame le résultat sans fioritures, sans chercher à plaire, sans chercher spécialement à provoquer non plus. Avec une énergie rare, elle parle d’expériences, elle parle de vécu, elle parle de tripes et de chaleur : elle parle de ce qui est, de la complexité et de l’évidence, des outsiders qui sont la majorité des humain·es. Majorité écrasante, pourtant écrasée. Lisette Lombé parle du réel, simplement. Comme nulle autre, comme elle seule.
Renaud Maes,
Présidence du Comité belge de la Scam
Lisette Lombé, L’écriture jaillissante
La vie, la poésie : c’est par ces mots tatoués sur sa peau que Lisette Lombé avance, écrit et agit au sein de la scène slam comme dans ses livres.
Citoyenne d’Honneur de la Ville de Liège pour l’ensemble de son travail, 2e Prix Paroles Urbaines en 2015, Golden Afro Artistic Awards pour Venus Poetica et Prix des Grenades (RTBF) pour Brûler, brûler, brûler (L’Iconoclaste), Lisette Lombé réassemble le monde grâce aux mots. Et pas seulement : sur scène, c’est tout son corps qui parle, qui dénonce, qui raconte, qui crie et chante la vie. Parce que le slam, c’est faire œuvre poétique partout, dans les salles, sur les murs, dans la rue. C’est une pulsation, une autre manière d’être en poésie. Un art de la parole et de l’écoute, politique dans son dispositif même, inclusif, gratuit, ouvert à tou·tes, qui dit l’inverse de l’individualisme et du capitalisme.
Tenir la cadence
Romaniste et diplômée en médiation, Lisette Lombé a travaillé durant une dizaine d’années en tant qu’enseignante : la question de la transmission et de la pédagogie est une constante dans sa vie, mais c’est un burn out qui l’a forcée à faire table rase et l’a ramenée à l’écriture : Il a cramé mes peurs et m’a permis de monter sur scène. De là sont nés un livre et une conférence gesticulée. Les textes que je dis sur scène restent gravés dans ma mémoire
corporelle, ce sont des récits qui ont jailli, vécu, se sont transformés au fil du temps, je les réarrange, je coupe dedans, j’agence des débuts et des fins de textes comme un DJ qui chercherait comment les morceaux peuvent rentrer les uns dans les autres. À l’image de ses collages forts, engagés, composés d’images hétéroclites, de plus en plus épurés. Un besoin de silence face au brouhaha incessant des réseaux sociaux, confie-t-elle : Plus l’écriture prend de la place, moins c’est du poème graphique. Le confinement imposé lui a offert la possibilité d’explorer des formes poétiques plus longues. J’avais déjà eu une réflexion sur l’espace scénique, la claque slam, je ne m’y retrouvais plus totalement. Les situations actuelles sont complexes, il y a profusion de nouvelles paroles, de points de vue qui nécessitent d’autres endroits pour dévoiler les coulisses du texte, faire lien entre engagement et atelier. J’aime le dispositif slam, l’enchaînement des personnalités, les soirées pleines de couleurs, mais je voudrais pouvoir me poser pour écrire une histoire plus longue. Les prix permettent aussi d’être moins dans l’angoisse de l’argent. Une question brûlante, celle-là aussi, qui a
poussé Lisette Lombé à se battre pour obtenir son statut d’artiste, si précaire en Belgique : Le rapport à l’argent est implacable. Quand on reçoit un prix ou une bourse, ça se traduit immédiatement en nombre de mois de loyer ou de remboursement d’un prêt hypothécaire. Peut-on tenir ce rythme, cette cadence ? Sur le long terme, c’est très périlleux. Militer pour le droit à l’aisance est une nécessité. Dans mon cas, avoir choisi d’abandonner un salaire de prof pour un statut administratif de chômeuse, ce n’est pas simple. Sur papier, je suis chômeuse et divorcée, sans parler de ma culpabilité de mère ! Mais mes enfants auront le temps d’être fiers plus tard… Paru en octobre 2020, son dernier livre, Brûler, brûler, brûler, rassemble des textes forts, qui ont vécu à la fois sur scène et dans ses précédents recueils, Black Words et Tenir, quasi encore jamais diffusés en France, et des textes inédits écrits pendant le confinement. Mon écriture est connectée à ce que je fais dans mes ateliers, à la question du respect à interroger. Un positionnement délibérément intersectionnel, à la croisée du sexisme, du racisme, de la grossophobie et de l’homophobie. Il ne s’agit pas de se poser en victime perpétuelle mais de récupérer de la dignité, de réinjecter de la fierté. J’ai commencé par des textes cathartiques, pour réagir à des situations personnelles, mais je m’en éloigne progressivement, comme les textes Mon fils est gay ou Black Lazare. Mon premier texte était un hommage à Patrice Lumumba et racontait une agression vécue personnellement. Quand elle a écrit Venus Poetica, court roman issu de textes de cabaret, Lisette Lombé avait en tête un personnage de femme blanche, mais la question du métissage est finalement revenue en force.
« Ma présence, c’est mon féminisme »
Membre fondatrice de L-SLAM, collectif de poétesses multiculturel et intergénérationnel, Lisette Lombé a contribué à mettre sur pied des ateliers d’écriture et des podiums de slam selon le principe du marrainage : des artistes confirmées accompagnent d’autres femmes dans l’écriture de textes et
soutiennent ces dernières pour leur première montée sur scène : Il y a une urgence, un partage, on sent un écho, une résonance, un souffle, une énergie. Ce n’est pas le contenu d’un texte qui doit être féministe, c’est le processus en soi. Ma présence, c’est mon féminisme, déclare celle qui prône la liberté de mouvement des corps pour déconstruire les stéréotypes. L-SLAM a développé dans ses ateliers toute une méthodologie pour travailler collectivement sur l’illégitimité et le sentiment d’imposture. Concrètement, les ateliers sont mixtes, toute personne y est bienvenue mais, dans la pratique, le mouvement accueille essentiellement des femmes. Quand j’ai commencé à slammer en 2015, il y avait beaucoup moins de femmes que d’hommes sur scène. Aujourd’hui, la tendance s’est inversée : on a modifié le paysage ! Partout dans le monde, avec la montée de #MeToo, les femmes ont développé du slam dans des lieux militants, soucieux de la représentativité. Pas besoin de grands moyens ni de scénographie : c’est un médium incroyablement adaptable ! Avec le confinement, l’atelier scénique est devenu pour elle virtuel : On doit réfléchir à d’autres manières de fonctionner sans la proximité des corps ni la scène, même si l’écriture reste tournée vers l’oralité et le partage.
Extraits
Tu peux bien respecter à la lettre le dress code de tes nouveaux amis, tu peux bien te parfumer de la cocotte hors de prix de tes nouveaux amis et rire du même rire que tes nouveaux amis, tu restes cette fille de la Cité. Tu restes la Cité. L’odeur de la Cité. C’est l’odeur du béton, de la promiscuité, c’est l’odeur du bitume, de la cage à poules, de la boîte à sardines, boîtes de pilchard, de corned-beef et boîtes de raviolis, c’est l’odeur de ton père congolais, ovni parmi les Belges, ovni parmi les Blancs.
Venus Poetica, L’arbre à paroles, 2019
Elle a vingt ans, tu as vingt ans.
Elle est noire, tu es noire.
Elle est morte, tu es morte.
Morte vivante. Flicaille, flicaille.
Morte vivante. Black Lazare. Black Lazare.
Tenir, Maelström Révolution, 2019
Pour aller plus loin
. Pour tout savoir sur le palmarès, vous pouvez lire en ligne ou télécharger la publication dédiée.
. Voyez la remise des Prix en vidéo ici...
. ... Et découvrez des photos de la cérémonie et ses coulisses là !