Pleins feux sur Mélanie Godin, Âme sœur de la Scam
"Elle suscite des découvertes, elle crée des ponts, des amitiés, des mariages, des échanges, des copulations..." : quelques mots pour commencer à décrire le formidable travail de Mélanie Godin, Âme sœur de la Scam 2022. Découvrez à cette occasion l'éloge écrit pour elle par le Comité ainsi qu'un entretien passionnant avec elle.
Le Prix honorifique « Âmes sœurs » honore des personnes qui aident à ce que les œuvres des auteurs et autrices naissent et soient visibles, et qui les soutiennent par leur écoute, leurs retours.
L'éloge du Comité
Mélanie Godin est une créature qui pulse la vie avec flamboyance.
Grâce à son ouverture et son sens de la curiosité, elle enchante chaque projet qu'elle met en route. Que ce soit dans sa fonction de directrice des Midis de la Poésie, de co-directrice de la Maison Poème, d'éditrice à L'Arbre de Diane, tout ce qu'elle touche, elle le transforme, elle le densifie, elle l'enrichit.
Formidable tisseuse de liens, elle met en relation la littérature, la poésie, la radio, les mathématiques, l'écologie, les sciences, les auteurices d'aujourd'hui, d'hier, d'avant-hier et de demain. Elle suscite des découvertes, elle crée des ponts, des amitiés, des mariages, des échanges, des copulations...
C'est d'une évidence, Mélanie Godin, entourée de ses teams de collègues magnifiques, participe avec acharnement à la vie culturelle et littéraire en Fédération Wallonie-Bruxelles (et bien au-delà). Si la poésie y est si flamboyante en 2023, c'est aussi grâce au travail-rhizome de Mélanie qui entretient sa visibilité et sa transmission sous toutes les formes, pour tous les publics, tous les âges et tous les genres.
Mélanie Godin a une foule en elle et est mille « Âme sœur » à elle seule. Nous sommes particulièrement heureuses et heureux de célébrer aujourd'hui son travail utile à tant d'auteurices.
Isabelle Wéry, membre du Comité belge de la Scam
Mélanie Godin : « Faciliter l’émergence et le talent, c’est du plaisir ! »
À la tête des Midis de la poésie depuis 2015, Mélanie Godin est aussi professeure de littérature, réalisatrice radio et éditrice : une multiplicité d’activités qui fait sens à ses yeux et œuvre dans une seule direction : défendre la poésie sous toutes ses formes
Maman de trois garçons, Mélanie Godin s’agace quand on lui demande comment elle fait pour tout gérer : « On ne demande jamais ça à un mec ! Et la réponse, c’est : on fait comme on peut ! Car en 2023, ce n’est toujours pas simple d’être mère et de travailler... » Après des études en Langues et Littératures Romanes à l’ULB, elle s’est spécialisée en littérature hispano-américaine lors d’un Erasmus à Madrid : « C’est un rêve encore à concrétiser de publier un·e auteurice de là-bas », confie-t-elle. Grâce à l’un de ses professeurs – écossais –, elle y a découvert la poésie contemporaine, notamment la poétesse argentine Alejandra Pizarnik, très peu connue à l’époque, autrice du texte Arbre de Diane, paru chez Ypsylon. « Ça a été un choc décisif. Je lui ai consacré mon mémoire de fin d’études à travers la question du silence dans l’écriture. Elle avait été traduite en français par Fernand Verhesen, fondateur des éditions du Cormier – Où l’avide environne, un livre introuvable aujourd’hui. » Ne souhaitant pas devenir professeure de langues, Mélanie Godin songe alors à travailler dans le domaine de la poésie et, au cours de son Master en Gestion culturelle, effectue un stage à la Maison internationale de la Poésie : « Je suis rentrée dans le milieu par ce biais. »
Après un premier poste à la Maison de la Poésie de Namur, elle postule aux Midis de la poésie : « Je me souviens avoir hésité car c’était à la fois prestigieux et un peu connoté – une vieille institution avec peu de budget ». Toute seule dans un petit bureau, elle entame un long et patient travail de professionnalisation d’une institution considérée avec respect, mais quasi bénévole : « On était encore dans une vision à l’ancienne, où la poésie était considérée comme une nourriture de l’esprit, sans oser parler d’argent. L’enjeu a été de créer une équipe et de faire en sorte que les personnes soient payées. Ça a pris des années. » Alors encore considérée comme élitiste, la poésie a peu à peu changé de représentation dans l’esprit du grand public, les réseaux sociaux ayant joué un rôle majeur dans l’élaboration d’une nouvelle communauté : « Aujourd’hui, nous avons des ambassadeurices comme Lisette Lombé, qui permettent de défendre des visions multiples du champ poétique. Il faut encourager cette multiplicité, qu’il s’agisse de formes militantes ou d’une poésie plus intimiste comme celle de Marc Dugardin, par exemple, qui permet de renouer avec un lectorat plus confidentiel. J’aime cette diversité. Je programme d’ailleurs des choses qui ne sont pas forcément ma tasse de thé mais que je trouve importantes à défendre. »
Ouvrir des portes, se relier
Aujourd’hui, Mélanie Godin n’est plus toute seule : elle dirige une équipe de 4 personnes et, depuis septembre dernier, a transféré ses bureaux de La Bellone à la Maison Poème – anciennement Théâtre Poème, à Saint-Gilles. « On a tous et toutes des doutes ou des rêves qu’on met de côté. Pour ma part, j’ai eu plusieurs moments de remise en question, où je me demandais si je n’allais pas faire autre chose, notamment pendant la pandémie, quand se posait la question de déterminer si la culture était ou non essentielle. Et puis le nomadisme des Midis de la poésie, c’était chouette mais très énergivore, souvent évanescent… »
Alors, quand la commune de Saint-Gilles lance un appel pour reprendre l’ancien Théâtre Poème, elle saute sur l’occasion : « On avait plutôt bien traversé la crise Covid et c’était la première fois qu’il y avait un appel aussi explicite pour la poésie. Il ne fallait pas le laisser passer ! Mais on était trop petit structurellement pour reprendre un tel lieu : cela aurait été suicidaire de postuler seul·es. » Contactée par Florent Le Duc et Céline Magain, elle s’allie alors à l’association FrancoFaune, pour rêver à plusieurs : « Nous avions des profils similaires au niveau institutionnel et nous avons décidé de nous fédérer pour vivre cette aventure ensemble. Heureusement qu’on est deux équipes pour cogérer le lieu car c’est un projet ambitieux, qui demande beaucoup d’énergie ! Mais c’est une aventure merveilleuse. Tout s’aligne ! »
Remporté à l’unanimité et géré depuis six mois grâce à une aide ponctuelle de la Fédération Wallonie-Bruxelles, le lieu « Maison Poème » est actuellement en attente d’une convention culturelle transversale. Espaces de bureaux, de résidences, salle de spectacle : tout est là pour accompagner les artistes qui travaillent à la fois l’écriture et la scène, et faire des liens entre poésie, musique, littérature et arts vivants. « Ce lieu permet de travailler des formes hybrides et nous constatons une vraie demande de la part des artistes, aussi bien en termes d’espaces que de compétences et de réseau. La mise en commun de nos deux associations génère une vaste constellation. C’est un nouvel univers, un nouveau champ des possibles qui s’ouvre à nous ! Les artistes et les pouvoirs publics nous font confiance pour poursuivre notre travail de cheville ouvrière au service de la création. » Parmi les projets à venir, le lancement d’une collection « Maison poème » au sein des éditions des Midis de la poésie : « L’édition, c’est un travail de recherche, de traces, qui soutient les artistes émergent·es. On leur offre ainsi un accès aux demandes de bourses et on met leur travail en lumière. C’est un passeport pour la suite. Je suis très heureuse de savoir que la poésie circule, de voir que des auteurices comme Camille Pier ou Maud Joiret commencent à rayonner à l’étranger. Ce travail éditorial est utile : il permet des rencontres, alimente un réseau et, par-là, contribue à enrichir le monde. Faciliter l’émergence et le talent, c’est du plaisir ! »
La juste place
Bien consciente de n’être que de passage, Mélanie Godin garde à l’esprit que les Midis de la poésie existaient avant elle et continueront d’exister après son départ. « Nous sommes là pour assurer la transmission, pour faire trait d’union entre la poésie et le public et, un jour, quelqu’un d’autre le fera. » C’est sans doute pour cette raison qu’elle a eu besoin, peu de temps après son engagement, de créer L’Arbre de Diane, maison d’édition qui explore la littérature sous toutes ses formes – écrites, sonores et multimédia –, et explore ses connexions avec d’autres disciplines.
C’est grâce à une aide du FNRS pour lancer la collection « La Tortue de Zénon » (qui réunit littérature, sciences et mathématiques), que le projet a pu voir le jour : « Je n’avais pas de fonds propres pour me lancer », se souvient Mélanie Godin. « J’ai toujours rêvé d’avoir une maison d’édition et je voulais avoir mon petit projet à moi, ne pas tout mettre au même endroit, conserver des zones de liberté, savoir que je n’appartiens totalement à personne. C’est cette multiplicité qui me rend libre et c’est comme ça que je me sens bien. Je me suis créé un champ d’exploration, une constellation, et c’est ça qui m’anime. Je me sens à ma juste place. »
Cette juste place, c’est aussi celle que Mélanie Godin occupe à l’ESA Le75 depuis cinq ans, où elle participe à l’émergence des futurs artistes en donnant un cours de littérature axé sur l’écriture et l’image, ainsi qu’un cours sur les questions de genre et d’identité en littérature. Une position de trait d’union avec les lieux de culture essentielle à ses yeux : « Il faut que les étudiant·es puissent être connecté·es à l’actualité et à l’émergence. J’essaie de leur transmettre ces connexions en faisant venir des intervenant·es extérieur·es, des artistes reconnu·es ou émergent·es comme Camille Pier, Lylybeth Merle, Marie Darah... C’est important d’arriver à faire le lien entre enseignement et vie active, de faire en sorte que les étudiant·es rencontrent des poètes et poétesses d’aujourd’hui, qu’iels se rendent compte que la poésie est multiple. »
Propos recueillis par Aliénor Debrocq
Pour aller plus loin
. Voir les sites des Midis de la Poésie, de la Maison Poème, le lieu qu'elle occupe avec Francofaune, et des éditions l'Arbre de Diane.