Pleins feux sur Nina Six, Prix Scam Texte & images 2022 pour "Les Pissenlits"
Elle "ose une voix, et une voie", son regard "révèle l’extraordinaire qui se niche dans l’infra-ordinaire" et son premier album "touche au cœur" : Nina Six reçoit le Prix Scam Texte et Image 2022 pour sa superbe bd Les Pissenlits. retrouvez à cette occasion l'éloge de Myriam Leroy et un entretien passionnant !
L'autrice
Née en 1998 à Orléans, Nina Six vit depuis huit ans en Belgique. Sa pratique narrative est intimiste, personnelle et fondée sur des souvenirs d’enfance. Son travail d’autrice l’engage à être attentive au sensible, au vivant ; au monde en mouvement avec lequel elle compose. Ses récits s’animent grâce aux tensions qui alimentent différentes thématiques abordées dans ses histoires.
L'éloge du Comité
Un grand nom de la BD est né. Et ça tombe bien, en plus, il est facile à retenir : Nina Six.
Avec Les Pissenlits (Sarbacane), l’autrice et illustratrice née en 1998 ose une voix, et une voie, qui porte attention aux beautés minuscules de l’enfance, à ses cocasseries et ses tristesses.
Elle esquisse, avec ce récit tiré de ses propres souvenirs, la fresque d’un été au camping avec ses découvertes sur soi et sur le monde.
Le regard de Nina Six révèle l’extraordinaire qui se niche dans l’infra-ordinaire. On pense au film Aftersun de Charlotte Wells, tant pour le motif estivant que pour la formidable collision d’émotions que les personnages nous font vivre, dans un espace-temps circonscrit autour de crèmes glacées et de crèmes solaires.
Cet album, foisonnant et fluide, touche au cœur et exhume de nos mémoires des images intimes, comme y parviennent les histoires si personnelles qu’elles ne sont qu’universelles.
Il faut encore parler du dessin de Nina Six, tendre, à l’aquarelle, ses petits bonhommes et fillettes stylisé·es, ramené·es à leurs traits les plus simples, ce qui les rend paradoxalement très vivant·es.
On a hâte de lire Nina Six dans l’évocation d’autres souvenirs, d’autres âges et dans tout ce qu’elle écrira par la suite.
Myriam Leroy, membre du Comité belge de la Scam
Eclosion d’une bédéiste
Avec Les Pissenlits, édité par Sarbacane, Nina Six entre dans le monde de la bande dessinée par la délicate porte des souvenirs d’enfance.
Diplômée début juillet 2022, éditée fin août 2022. Nina Six a beau jouer d’une aquarelle bucolique, elle ne traîne pas en chemin. Peut-être parce que la jeune femme, recalée deux fois en secondaire par des filières artistiques, sait saisir sa chance quand on la lui donne. Peut-être parce qu’après avoir dû quitter sa famille dès 16 ans pour aller étudier à Saint-Luc à Tournai, en internat, elle sait plus que jamais pourquoi elle a fait ce choix. Peut-être parce qu’elle a la chance de pouvoir tenter de gagner sa vie par la BD car ses parents la soutiennent financièrement et qu'elle a conscience que ce n’est pas le cas pour tous ses pairs. Peut-être, aussi, que c’est juste ainsi. Que c’est la vie. Comme dans Les Pissenlits. Dans sa première bande dessinée, Nina Six met en couleur et en relief un petit moment de basculement dans l’enfance quand, aux alentours de 8-9 ans, on commence à prendre conscience des relations interpersonnelles qui se jouent autour de nous, tout le temps. Que ce soit l’amitié, l’amour, les préjugés, les rencontres fortuites, les façons de vivre, les relations à la mort. Ce décillement sur la vie des grands, sur la vie émotionnelle des enfants, sur cette extraordinaire banalité qu’on est tous différents et tous semblables. Sa protagoniste, Nina, évolue sur cette ligne de flottaison au cours d’une colonie de vacances en bord de mer, au camping « Les Pissenlits ». Encore timide, naïve, toute happée par la magie, la petite fille commence à percevoir une autre réalité, celle des fêlures chez les autres, celle des règles sociales à géométrie variable (le moniteur a beau être marié, il est très proche de la monitrice…), de la proximité des corps, de l’exclusion, de la solidarité… Une subtilité du thème à laquelle se prête bien la dilution de l’aquarelle. Et nous avançons dans ce récit aérien, portés par un très bon séquençage de la narration grâce aux couleurs : chaque épisode est teinté d’une couleur d’ambiance dominante (vert, bleu, jaune pâle, mauve, rouge…) dans laquelle une autre couleur vient toujours, par petite touche, en rappel d’une séquence précédente.
Retravailler, retravailler, retravailler
Tout cela ne s’est évidemment pas fait en deux coups de pinceau. C’est un travail, et peut-être surtout un retravail, filé sur deux ans. En 1ère année de master en Bande dessinée à l’ERG (Ecole de Recherche graphique), Nina Six doit réaliser une BD. « J’ai décidé de partir sur un souvenir de mon enfance. J’ai fait beaucoup de recherches de dessin. Et j’ai fait une première version de la bande dessinée. Il y avait 112 planches, réalisées à la gouache. Quand j’ai eu fini, j’ai scanné toutes les planches et je les ai envoyées à Max de Radiguès qui est auteur de BD et éditeur chez Sarbacane. Ils m’ont fait un retour et on a signé fin juin 2021, retrace l’autrice. Mais il y avait beaucoup de modifications à faire. Il fallait creuser et différencier mes personnages, il y avait des dessins à refaire, la trame narrative à revoir, affiner le rythme du récit. Vraiment, il y avait beaucoup de travail. Et donc j’ai retravaillé ma bande dessinée pendant mon Master 2, mais à l’aquarelle cette fois. Et c’était bien mieux. » Chez Sarbacane, elle apprécie la grande franchise – elle remercie d’ailleurs l’équipe pour « ses conseils en or » en 2ème de couverture des Pissenlits. « Moi, ça me convient car ça m’a permis d’avancer plus vite. Être confrontée à ce qui n’allait pas m’a beaucoup aidée », expose-t-elle. Elle fait d’ailleurs toujours lire ses projets à des proches, avant publication. « Les lecteurs et lectrices extérieur·es sont la meilleure solution pour avoir un point de vue détaché, estime-t-elle, car même les éditeurs finissent par avoir la tête dedans. » Quand son père lui lâche un « bof », elle mord sur sa chique, attend que ça passe et puis elle retravaille.
La bibliothèque, là où tout (ou presque) s’est joué
Sa famille est d’ailleurs probablement aux racines de son goût pour le dessin, la peinture et la bande dessinée. Sa tante Djamila (qui apparaît en personnage dans Les Pissenlits) est une passionnée d’opéra et de cinéma, une autre tante – bibliothécaire dans un collège – est mordue de livres, sa mère a pratiqué la peinture à l’huile et la sculpture. Il y avait donc une toile de fond propice, une sensibilité à l’art. Mais l’enracinement propre à Nina Six a pris dans la bibliothèque de sa petite commune nichée près d’Orléans. Elle y allait avec sa tante, avec l’école et ses parents l’y emmenaient tous les samedis matins. Six livres maximum pour huit jours. Elle se souvient encore précisément des conditions d’emprunt. « La bibliothèque a été hyper formatrice. Comme lieu de culture, lieu des possibles avec par exemple ses concours de dessin. Et c’est là que j’ai découvert et dévoré les BD, surtout Lou ! de Julien Neel dont les deux premières pages façon ‘home made’ me fascinaient. Tous les romans, les mangas, je les ai lus là-bas. Et j’y suis retournée l’automne dernier en tant qu’autrice. La boucle est bouclée ! », sourit-elle.
Une résidence en groupe, où tout (ou presque) a basculé
Elle qui n’a jamais été très à l’aise avec l’école – « sauf en artistique » – passe une bonne partie de son enfance à décalquer les bandes dessinées. « Avec le recul, je me dis que c’était très formateur. Ça m'apprenait à dessiner les personnages, à voir comment les bulles étaient positionnées. Sans m’en rendre compte à ce moment-là bien sûr », précise-t-elle.
L’adolescence venant, Nina Six veut faire de l’Art, celui avec un grand A. Elle délaisse la BD, entre à Saint-Luc, puis à l’ERG où elle se perd un peu au début – trop de latitudes la déboussolent. Elle est en illustration, change en cours d’année pour l’animation, revient à l’illustration. Et arrive un moment charnière : une résidence de deux semaines à l’EESI (Ecole européenne supérieure de l’image) à Angoulême. Des étudiants de tous horizons sont rassemblés. « On a fait de la BD ensemble et c’était super. Mais je me suis sentie moins forte que les autres, je trouvais qu’il manquait quelque chose à mon style. J’en suis ressortie en me disant qu’il fallait que je travaille plus, que j’améliore mon dessin. Alors, j’ai changé mon processus de création et moi qui ne faisais pas de recherches en amont, je me suis mise à en faire. Et pendant ma deuxième année à l’ERG, j’ai fait beaucoup de tests BD », développe-t-elle. On connaît la suite.
Un prix, des projets et un tome 2
Ce prix de la Scam, elle ne s’y attendait absolument pas. « Ça a été une grande surprise et donc ça m’a beaucoup touchée. D’autant que la Scam est proche de moi. Je suis installée en Belgique depuis des années et c’est grâce à elle que je touche mes droits d’autrice. Mais je ne pourrai pas assister à la soirée de remise des prix… » Non, Nina Six sera alors en résidence chez Québec BD où elle travaillera sur un nouveau projet. Avant de revenir peaufiner le tome 2 des Pissenlits, dont la sortie est prévue pour début 2024.
Cécile Berthaud
Pour aller plus loin
Les Pissenlits, de Nina Six, éditions Sarbacane
Lire la critique du Carnet et les instants
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