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Rencontre avec Pauline David, la programmatrice derrière les journées belges du Festival de Lussas

Mardi 22 Août 2023

Directrice de la structure de programmation Le P'tit ciné, du Festival En ville !, ou encore des soirées de projection "Jeunes premiers, jeunes premières", Pauline David se laisse guider par son plaisir de diffuser et partager les œuvres l'ayant marquée. Nous avons souhaité lui donner la parole à propos des États généraux du film documenaire de Lussas, dont elle a programmé la section "Route du doc belge".

Comment présenteriez-vous le Festival de Lussas ?

C'est une super aventure ! Il s'agit d'un festival de cinéma hyper inclusif dans un tout petit coin du fin fond de l'Ardèche. Il a été créé par le fils de l'épicier du village dans les années 70. Un gars amoureux du cinéma du réel, qui a voulu partager sa passion en l'apportant à Lussas. Un village qui, pendant une semaine, se consacre totalement au documentaire et se met au rythme de l'événement. Avec des projections de films, des rencontres organisées et spontanées, et tout le monde à portée de main dans la grande rue principale où tout se déroule. C'est un lieu pour découvrir des films, en discuter, et boire des coups. Il y a même des projections chez l'habitant. Le bonheur, quoi !

À quel type de public pensez-vous en abordant la programmation pour un lieu comme Lussas ?

Une des choses les plus gaies, c'est justement la diversité des publics. Par exemple, il y a beaucoup de profs venant de partout en France. C'est l'été, ils sont en vacances, et ils viennent découvrir des films qui parlent de politique et se nourrir d'expériences cinématographiques. 

Mais un des pièges dans mon activité revient à composer sa sélection en se demandant ce que le public veut voir. Les programmes basés là-dessus sont moins réussis car chaque individu a un regard nécessairement différent sur le monde. Pour bien programmer, il faut avant tout s'écouter soi. Croire que ce qui nous intéresse va toucher les autres si on le propose de la bonne façon. C'est revenir à l'idée que le cinéma est un moyen de dialogue et de discussion. En fait, je me vois comme une médiatrice, et comme la première spectatrice des films que je programme. 

Y a-t-il des trucs et astuces que vous partageriez avec les auteurs et autrices désirant se rendre au festival ?

Le Festival de Lussas s'adresse à un public généraliste avant tout mais il a bien évolué en quarante ans. Plein de sections ont été développées et de nombreux documentaristes sont présents. Ils et elles viennent voir des films, et rencontrent d'autres auteurs ou autrices, entre autres par le biais des rencontres professionnelles destinées à nourrir leur travail. Cette année, il y aura par exemple un très bon séminaire intitulé 'Filmer la justice', et mené par l'historienne du cinéma Sylvie Lindeperg et la philosophe de l'image Marie-José Mondzain. L'idée étant de partir d'extraits de films et de réflexions philosophiques pour se demander comment filmer la justice. 

Il y a aura aussi une envie de diversifier les formats avec la tenue d'une 'Nuit sonore' sur les écoutes radiophoniques. Au-delà de ces différents ateliers et séances spéciales, il y a tous les soirs des drinks pour se rencontrer entre professionnels. 

Mais le premier conseil que j'aurais dû donner, c'est de s'y prendre en amont pour l'achat des billets. La billetterie est en ligne depuis plusieurs années, et Lussas est pris d'assaut !

Comment ces deux journées dédiées à la Belgique s’imbriquent-elles dans le festival ?

Au-delà de la section 'L'expérience du regard' qui est portée par des cinéastes, ou de celle nommée 'Histoire du doc', qui s'attache à remonter l'histoire documentaire d'un pays, il y a la 'Route du doc'. Une section qui revient sur la filmographie récente d'un pays. 

L'année dernière c'était le Japon. Le travail n'est pas simple car il faut composer avec pas mal de filtres. Il faut que les titres sélectionnés n'aient jamais été projetés à Lussas, qu'ils n'aient pas trop été vus ailleurs en France, et enfin qu'ils soient sortis dans les cinq dernières années. 

Le documentaire belge a-t-il des spécificités propres ?

La Belgique, c'est une terre d'accueil pour le cinéma du réel. Ce qui fait sa spécificité, c'est d'amener des propositions très différentes les unes des autres. Avec une approche formelle toujours très forte, même quand elle est classique. 

Une autre singularité, en tout cas en Belgique francophone, c'est l'existence des ateliers de production et d'accueil. Ce sont des structures de production autonomes et assez artisanales, constituées dans les années 70 par Jean-Claude Batz, le producteur d'André Delvaux, avec l'idée d'y rassembler les conditions pour l'expérimentation et la création. Une partie de son inspiration venait de l’attention portée par les studios hollywoodiens aux étapes d’écriture et de développement de leurs films. 

Aujourd'hui encore, ces structures accueillent avec bienveillance des auteurs et des autrices, qui ne sont pas obligatoirement passé par une école de cinéma d'ailleurs. Les structures leur prêtent du matériel, les accompagnent dans leurs démarches de création, leur donnent même parfois de l'argent. Avant toute chose, il faut s'y présenter avec une idée, une volonté et un point de vue. (Pour en savoir plus sur ces ateliers de production et sur les détails de la programmation, cf. p. 40 du catalogue 2023 du Festival de Lussas, ndlr).

Avez-vous été surprise en préparant le programme ?

Une des choses les plus gaies de cette programmation a été de fouiner et découvrir des films que moi-même je ne connaissais pas. Notamment du côté néerlandophone du pays, où il existe énormément de collectifs d'artistes collaborant pour créer, produire et diffuser leurs films. C'est une myriade de petites planètes interagissant très bien ensemble, et colorant le cinéma documentaire belge actuel. 

En tout, j'ai sélectionné une soixantaine de films que j'ai présentés à Christophe Postic, un des directeurs artistiques du festival. On ne pouvait en garder qu'onze à la fin. Là, la sélection s'est faite comme pour n'importe quel travail de programmation. C'est-à-dire que l'important est de montrer des films qui nous intéressent. Et surtout, des films qui se parlent entre eux. Ce qui met de côté certains coups de cœur qu'on aurait adoré montrer. Ce n'est pas qu'on les rejette, c'est plutôt que le cadre se construit avec diverses intentions et dessine une voie à suivre. 

Quels sont les thèmes ou motifs sur lesquels les onze films que vous avez choisis pour Lussas se rencontrent ?

Il y a beaucoup de colère et d'actes de résistance dans les films qu'on montre.

Un des premiers auxquels j'avais pensés, c'est Rage de Dominique Lohlé et Guy-Marc Hinant, qui parle d'acid music et qui travaille bien cette notion de colère. Une colère joyeuse, ludique et plutôt positive, qui va provoquer de la transgression et un mouvement de lutte. Une fondation qui se retrouve dans la plupart des films que nous avons choisis, comme Les Prières de Delphine de Rosine Mbakam, qui introduit aussi la notion du regard qui se déplace, et la volonté de montrer des gens rarement vus à l'écran. Il y aussi de la colère dans Vue brisée de Hannes Verhoustraete, qui ouvre la question coloniale, qu'on retrouve aussi dans Les Minuscules de Khristine Gillard, sur les luttes civiles au Nicaragua contre les politiques de Daniel Ortega. 

Dit autrement, ce sont des films qui sont dans la transgression d'un ordre établi, dans le fond comme dans la forme. C'est-à-dire avec des gestes cinématographiques qui essaient, qui proposent, qui travaillent la matière filmique. 

S'il fallait n'en garder qu'un seul, quel serait votre film de chevet ? 

Le Joli Mai de Chris Marker et Pierre Lhomme. C'est un très beau film tourné dans les rues de Paris en 1962. Les cinéastes y interrogent les passants sur leurs pensées. C'est très beau, très simple en apparence, et finalement très politique en toile de fond.

 

Entretien mené et rédigé par Stanislas Ide

 

 

Rencontre avec Pauline David, la programmatrice derrière les journées belges du Festival de Lussas