Aliette Griz et Aurélien Dony, lisez-vous le belge ?
Quel rapport les auteurs et autrices entretiennent-ils avec la littérature de Belgique francophone ? Dans le cadre de l'opération "Lisez-vous le belge", nous avons eu envie d'en savoir plus et avons proposé à des auteurs et autrices de roman, de BD, de théâtre, de livre jeunesse et de poésie de répondre à un petit questionnaire à ce sujet. Cette semaine, Aliette Griz et Aurélien Dony se prêtent au jeu, et nous les remercions pour leurs confidences, à lire ici !
1. Avez-vous une citation fétiche tirée d’un livre d’un auteur ou une autrice belge ?
"La rage avant la paix
La foi avant la paye
Il y a toujours un résultat"
Je pense souvent à ce haïku, écrit par Houssam El Haimour, dans le cadre du projet "Poèmes de pluie" (des poèmes apparus sur les trottoirs quand il pleut. Un livre, publié chez cfc éditions, retrace ce passionnant projet, pour les curieuses et curieux).
Je me souviens des questions d'Houssam : il avait écrit le poème mais n'était pas certain de le comprendre lui-même. Je suis attirée par les écritures qui ne comprennent pas tout. Houssam était très calme, pendant les ateliers, mais les mots qu'il a écrits me semblent importants à recevoir.
2. Où pourrions-nous vous retrouver en train de chiner, acheter ou louer des livres en Belgique ?
Chez Tulitu, à Lagrange points, chez Pépite Blues, aux Météores, curieuse de la nouvelle enseigne apdm, dans les bibliothèques Hergé, de Saint-Gilles ou Sésame, aux tables de livres réalisées par Tropismes à la fin des événements des Midis de la poésie. Au Poetik Bazar, sur le stand des éditions Papier machine.
3. Avec quel.le auteur ou autrice belge voudriez-vous collaborer ?
Avec Christine Aventin, Milady Renoir, Léïla Duquaine, Régine Vandamme, Joëlle Sambi. Pour quelques noms identifiables dans google ou dans des lieux qui savent. Mais aussi, tout ceci n'est rien, sans se mettre en danger et chercher à ce que l'écriture se fasse avec des mains qui font pas que servir des noms exemplaires. Ecrire, ça peut se faire de biens des façons, plus ou moins suivies, entre personnes qui publient et personnes qui écrivent dans leurs carnets, dans leurs têtes, entre leurs dents. Je ne fais pas une distinction absolue entre les professionnel.le.s et d'autres qui n'auraient pas le titre d'auteur.e.
Pour le dernier livre que j'ai publié, une collaboration avec Ali Talib, qui rêvait d'un livre (comme tant d'autres), et qui pensait qu'écrire était en dehors de ses compétences. Il a pourtant commencé, un peu par défi, un peu parce qu'en tant que demandeur d'asile enfermé dans un centre d'accueil, il n'avait rien d'autre à faire. Il est devenu auteur belge. Il n'a jamais obtenu de papiers, mais a signé un livre, ici. Cela m'a beaucoup appris sur ce que c'est qu'être auteur en général et belge en particulier.
4. Quel livre belge transmettriez-vous aux générations futures ?
La question impossible ! J'ai perdu mon frère cette année, et lu Au bonheur des morts de Vinciane Despret, autrice belge, même si le livre est publié aux éditions La Découverte. Pourquoi pas celui-là ? ça permettrait aux générations futures de pas se dire qu'on a complètement disparu.
5. Quelles particularités associeriez-vous à la littérature belge francophone ?
Je suis peu attachée aux origines de ce qui m'entoure, plus à la possibilité que ça circule. La littérature belge francophone est pour moi aussi importante que d'autres littératures francophones plus dominantes sur les marchés du livre. Je m'intéresse plus volontiers aux projets émergents. J'ai été invitée à écrire par la revue Sabir, il n'y a pas longtemps, qui est un projet belge, et je me reconnais dans le nom proposé. Une langue hybride (signification du mot sabir). Je ne suis pas spécialiste de littérature belge francophone et elle ne m'intéresse que contaminée par ce qui la dépasse.
6. Avec quelle maison d’édition aimeriez-vous collaborer ?
Je travaille avec les éditions Academia et prépare un projet chez Tetras-Lyre. Deux publications au programme en 2022. Je n'ai pas envie de me disperser. J'ai compris que j'aimais publier, certes, mais que la prolifération des livres et la folie des connexions peuvent rendre la démarche un peu absurde et très compétitive. Je n'ai jamais été capable de courir plus vite que quiconque. Certains des projets dont je suis le plus fière ont été réalisés en atelier, par des personnes non acquises à l'écriture, publiées dans la collection carrée des Midis de la poésie, pour qui je travaille. Ces livres sont édités à petits tirages. Nous les distribuons aussi aux publics concernés et aux Midis de la poésie. De la poésie qui se promène, sans enjeu marchand. Je crois à la micro-édition, aux projets comme ceux du Mot/Lame.
Pour en savoir plus sur Aliette Griz, rendez-vous sur sa page Bela !
1. Avez-vous une citation fétiche tirée d’un livre d’un auteur ou une autrice belge ?
« Cherchant une lumière, garde une fumée. », c’est une citation de Michaux, extraite de Poteau d’ange. Ce recueil d’aphorismes m’a bouleversé, adolescent. J’y maraudais de quoi faire ma journée. Et cet aphorisme est resté. Mes errances, mes doutes, mes peurs et mes déroutes prennent, à l’aune de ces mots, une lueur particulière. Ils me deviennent alors supportable. C’est peut-être ça, le rôle de la poésie, rendre la vie supportable.
Je rajouterais une autre citation, de Pierre Coran, à qui je dois beaucoup – sans lui, je n’aurais sans doute jamais poursuivi mon chemin d’écriture et d’édition, quand j’avais dix-neuf ans : « Je me croyais désert et j’étais habité. » C’est un vers issu du recueil Les chemins de Janus, édité chez M.E.O, maison d’édition vers laquelle Pierre me conseilla de déposer mon manuscrit. Et ce vers-là, c’est une oasis : j’y trouve de l’eau quand il fait soif.
2. Où pourrions-nous vous retrouver en train de chiner, acheter ou louer des livres en Belgique ?
Incontestablement, quand je suis à Namur, c’est à la librairie Point Virgule que vous me trouverez le plus souvent. L’équipe est experte, chaleureuse et toujours souriante. C’est un plaisir de flâner dans leur rayon. Pour chiner, ce sera plutôt du côté de chez Ramd’Âm, une librairie rue des Carmes où la magie de la seconde-main opère à tous les coups : il est rare que je quitte les lieux sans un recueil de poésie sous le bras (souvent des auteurices belges, d’ailleurs).
Et quand je suis à Bruxelles, c’est chez Tropisme que je traîne ma truffe. Leurs rayons poésie et théâtre y sont particulièrement bien fournis.
Et quand je veux de la poésie, de la poésie rien que de la poésie, je me rends du côté de la place Jourdan, à la Boutique MaelstrÖm. Impossible de sortir de là bredouille.
3. Avec quel.le auteur ou autrice belge voudriez-vous collaborer ?
J’aimerais beaucoup travailler aux côtés d’Antoine Wauters. Ses œuvres, poétiques et romanesques, me bouleversent. J’aurais beaucoup à apprendre de lui. Son écriture, limpide et ciselée, ne manque jamais sa cible : je sors de ses livres comme d’un pays et l’image des paysages traversés me poursuit longtemps après la fin du voyage.
Travailler aux côtés de Lisette Lombé me plairait beaucoup également. Nous nous croisons souvent mais n’avons pas encore eu le bonheur de collaborer ou de partager de scène ensemble. Ce n’est pas la première fois que je l’écris, mais Lisette est pour moi comme un phare dans la nuit de l’époque. Sa lucidité et son extrême justesse, sa façon de grandir sans écraser ou faire de l’ombre, dans le contexte actuel, je trouve ça admirable.
4. Quel livre belge transmettriez-vous aux générations futures ?
Mon terreau, c’est les galaxies, de Julos Beaucarne. Il me semble primordiale de transmettre la voix de ce poète-là.
Son humanité, sa chaleur, sa philosophie font grandir qui se penche sur son œuvre. Les chansons et les textes de l’album Chandeleur 75 ne cessent de m’émerveiller : j’y reviens chaque fois que la peine est trop grande, qu’il me faut à une voix me réchauffer, à un malheur plus grand confronter mon chagrin. Et sa voix dénoue tout. Je l’écoute, vide de moi, et reste sans voix face à un poète de cette trempe, à un cœur fait comme le sien.
Et puis, ça me semble important aujourd’hui de transmettre une poésie qui ne renie rien de ses racines, qui les chante et les porte de telle sorte qu’elles s’ouvrent sur des horizons plus larges, plus clairs. « L’universel, c’est le local sans les murs » disait Miguel Torga. Julos aura ouvert la Wallonie à l’univers entier. Et aura fait rentrer l’univers entier dans nos p’tits cœurs wallons.
5. Quelles particularités associeriez-vous à la littérature belge francophone ?
En Belgique, la littérature, celle que je lis, que je fréquente, que je connais un petit peu, me plaît pour son extrême liberté de ton. Il y a en Belgique des plumes audacieuses. Je pense à Antoine Wauters, bien sûr, mais aussi à Catherine Barreau et Philippe Marczewski, les lauréat.e.s des deux derniers Rossel. Le premier roman de Zoé Derleyn, Debout dans l’eau, est également admirable de ce point de vue-là. Et il y a des voix comme celle de Véronika Mabardi, dramaturge et romancière, qui emprunte des sentes insoupçonnées par lesquelles elle nous mène sans que nous ne trébuchions jamais.
Les écritures qui osent l’incursion de la poésie au cœur même de la prose me touchent particulièrement.
Est-ce une particularité de la littérature belge ? Je n’en sais rien. Je ne suis pas un expert. Mais nous osons, je crois.
6. Avec quelle maison d’édition aimeriez-vous collaborer ?
Toutes les maisons d’édition belges ont quelque chose à offrir et ont leur singularité. Je propose mes projets en fonction de la ligne éditoriale de la maison, de sa politique. Et parfois, j’ai la chance d’être accepté, soutenu et édité. C’est le cas de la très belle expérience aux éditions MaelstrÖm avec Amour Noir, mon dernier recueil de poèmes.
Mais si je devais me pencher sur l’avenir…
C’est vrai que la collection If, de l’Arbre à Paroles, me plaît beaucoup. Ce serait un bonheur d’y être associé. Tant le travail graphique de l’objet que la qualité des textes édités m’attirent vers cette maison, et cette collection en particulier.
Il y a aussi les éditions Esperluète. J’aime beaucoup leur travail et leur catalogue. Les éditions Weyrich, également, pour la prose. Ou encore Tétras Lyre, pour la poésie. La Belgique ne manque pas de talents en matière de maison d’édition !
Pour tout savoir sur Aurélien Dony, lisez vite sa fiche Bela !
Pour aller plus loin
. La campagne de promotion Lisez-vous le belge est coordonnée par le PILEn. Au menu pendant 6 semaines : des sélections de livres, des interviews, des articles de fond et des portraits pour célébrer la diversité et la richesse de notre littérature et mettre en avant tous les acteurs participant à son existence, toutes les voix et les visages du livre belge francophone.
. Rendez-vous sur la page facebook de la campagne Lisez-vous le belge, que vous pouvez aussi retrouver sur Instagram, LinkedIn ou sur twitter en suivant le hashtag #lisezvouslebelge.
. Découvrez les interviews d'Anne Crahay et Loïc Gaume (jeunesse), de Caroline Lamarche et Laurent Demoulin (roman), et Céline De Bo et Régis Duqué (théâtre).
. Et bien-sûr, est-il besoin de le préciser, lisez des livres belges !