Focus sur Isabelle Christiaens, Âme sœur de la Scam en 2021
« Avec elle, nous parlons le même langage » : quelques mots du Comité belge de la Scam pour exprimer sa reconnaissance envers Isabelle Christiaens, responsable des coproductions documentaires à la RTBF et « Âme sœur » de la Scam en 2021. Nous lui adressons nos plus chaleureuses félicitations, et vous proposons de lire l'éloge du Comité ainsi qu'un entretien passionnant avec Cécile Berthaud.
Isabelle Christiaens
Isabelle Christiaens est sortie de l’IAD en 1985 comme réalisatrice et a été engagée à la RTBF pour y réaliser des directs au JT puis des reportages ainsi que des documentaires coproduits par France 2 et Arte dont une série de films sur François Mitterrand avec H. Le Paige et JF Bastin.
En 1993, elle crée le magazine d’actu L’Hebdo et 10 ans plus tard Actuel avec P. de Lamalle. En 2005, elle coproduit avec B. Balteau la série Moi Belgique. En 2006, elle intègre l’équipe de Tout ça ne nous rendra pas le Congo pour le projet "Bye Bye Belgium". En 2012, elle entame une série documentaire de 8 épisodes de 26’, une version unitaire (75’) et un Serious game de L’Homme au harpon.
Depuis 2015, elle est responsable des coproductions documentaires de la RTBF et d’Arte Belgique
L'hommage du Comité
En 2016, Isabelle Christiaens prend le relais de Wilbur Leguebe au sein de l’unité documentaire de la RTBF. Elle met alors de côté son propre parcours de réalisatrice pour se consacrer aux films des autres. Mais elle sait de l’intérieur ce que cela représente de mettre en œuvre un projet : les doutes, les difficultés, l’opiniâtreté.
Avec elle, nous parlons le même langage.
Depuis cinq ans, Isabelle se bat pour que le documentaire garde une place de choix au sein de notre télévision de service public. Ce n’est pas une bataille facile, il faut du courage et de la hargne pour défendre ce cinéma qui échappe aux normes télévisuelles et revendique sa liberté, ce cinéma qui prend du temps, qui ose le doute, qui interroge et brave les règles préconçues et les simplifications.
Aujourd’hui, alors que l’avenir de la télévision linéaire est plus que jamais troublé, la place du documentaire est d’autant plus à défendre. Comme la fiction, le documentaire est un fleuron de notre culture, une vraie plus–value, dont la télévision de service public se doit d’être fière. Isabelle en est le premier soutien, et nous voulions par ce prix lui manifester toute notre reconnaissance.
Emmanuelle Bonmariage, Jérôme Laffont, Jérôme le Maire, Isabelle Rey, et Nina Toussaint, Membres du Comité Belge de la Scam
Isabelle Christiaens, l’aventure par le documentaire
Fidèle depuis ses débuts à la RTBF, Isabelle Christiaens a posé sa caméra pour porter son regard sur le travail des autres. Responsable des coproductions documentaires, elle sélectionne et accompagne les projets en prenant soin de marier les envies des auteurs et des autrices et les demandes des chaînes télé.
Quand elle a pris son envol de l’IAD, à 21 ans, Isabelle Christiaens s’est posée sur la tour Reyers. Elle s’y est installée. Et trente–six ans plus tard, elle y est toujours bien, son goût pour la découverte continuant d’être alimenté au quotidien. Elle travaille d’abord à l’info, multipliant directs et reportages pour le JT. Elle adore partir pendant deux ou trois semaines pour de longs reportages.
Et un jour de 1986, en préparant un sujet pour le JT, elle se plonge dans les archives de la RTBF et trouve cela « absolument passionnant ». Alors, à l’occasion des 30 ans du JT, elle réalise avec Hugues Le Paige un film de 100 minutes, Lumières sur l’oubli, uniquement en archives, avec une narration faite en « je » (approche narrative inhabituelle qui avait suscité beaucoup de réactions à l’époque). « Cela a été ma première approche du documentaire. Mon goût pour l'image, le montage m’est venu à ce moment–là. »
Quelques années après, elle réalise une série documentaire sur François Mitterrand, et si elle continue le reportage, le documentaire commence à prendre le pas sur le reste. Loin de Moscou (1992), Nous vieillirons ensemble (1998), Je Vous Haime (2002), Le casse du siècle (2011) sont de ceux, dans sa filmographie, qui remportent des prix. Jusqu’à L’Homme au harpon, sorti en 2015, pour lequel elle a suivi pendant deux ans un détenu dans son parcours du combattant pour sa réinsertion. « Pendant longtemps, j’ai travaillé en binôme et j’aimais vraiment ça. Depuis une dizaine d’années, j’ai été amenée à travailler plutôt seule et ça ne coulait pas de source pour moi jusqu’à L’Homme au harpon. Là, j’ai filmé, pris le son, monté seule. Et j’ai trouvé ça passionnant. J’ai eu l’impression de faire de la sculpture, d’avoir les mains dans la matière. J’ai adoré ! »
Pourquoi arrêtez–vous de réaliser des documentaires après L’Homme au harpon ?
Cela aurait pu continuer, mais on m’a proposé de reprendre Arte Belgique.
Je me suis dit qu’après trois ans à être plongée semaines et week–ends dans ce docu, c’était une belle opportunité de voir, de faire autre chose. Et puis défendre les projets des autres, ça me disait vraiment bien. Il faut savoir se vendre quand on est documentariste. Et je pense le faire mieux pour les autres que pour moi–même !
À la base, je voyais ça comme un moment, puis en 2016 je suis passée à la coproduction documentaire et je prends un vrai plaisir à défendre les projets et à les accompagner. Chaque réalisateur·trice est différent·e, certain.es aiment être épaulé.es, d’autres moins.
Mais chaque film est une nouvelle aventure et je n’ai jamais l’impression de faire deux fois la même chose. Nous ne sommes pas là uniquement pour financer, mais pour poser un regard bienveillant et constructif, rester à l’écoute des auteurs et autrices tout en essayant de correspondre aux demandes des chaînes, ce qui s’avère parfois un exercice périlleux.
Comment se passe cet accompagnement, concrètement ?
On reçoit de plus en plus de projets et on est obligé de faire des choix. Les projets sont analysés en comité de lecture et pour certains en séance de pitching. Ceux qui sont choisis sont orientés en fonction des lignes éditoriales des cases documentaires de nos chaînes.
Une fois que le financement est validé, c’est surtout au montage que j’accompagne. Et là, tout dépend des auteurs et autrices. Certains ont besoin d’être nourris de retours assez tôt, d’autres préfèrent que leur film soit plus abouti avant de le montrer. En moyenne je visionne les films trois fois, mais ça peut aller jusqu’à dix fois.
Le montage est un processus long et il n’est pas toujours facile d’avoir du recul, de prendre la distance nécessaire, et c’est à ce moment–là qu’un avis extérieur devient vraiment important. Et je sais bien, pour l’avoir vécu moi–même, à quel point c’est parfois difficile d’entendre des critiques. Or ce sont souvent ces retours critiques qui font avancer les films, qui permettent d’aller en profondeur et de les pousser le plus loin possible.
C’est vrai que je suis assez exigeante, ça fait partie de mon tempérament, mais c’est toujours dans le souci d’arriver au meilleur résultat.
Et comment opérez–vous le choix des projets ?
Il y a des attentes claires de la part des responsables de chaînes par rapport aux cases documentaires et aux publics qu’ils veulent cibler. Nous coproduisons plus d’une cinquantaine de films par an dans des genres très différents : investigation, société, récits historiques, portraits, documentaires de création, etc.
Personnellement, j’aime aussi être surprise par des projets qui sortent un peu de l’ordinaire. Il faut oser d’autres formes d’écriture et de narration. Sortir des sentiers battus, du formatage, malgré les demandes des chaînes. En Belgique on a quand même une expérience assez formidable du documentaire, reconnue à l’international. Il faut garder cette créativité, cette liberté de ton.
Vous ne ressentez pas de frustration à ne plus faire de réalisation ?
Parfois un peu. Mais il est impossible de faire les deux en même temps. La réalisation et la coproduction demandent l’une et l’autre trop d’implication. Et sans avoir besoin de reconnaissance, ce prix Scam m’a fait plaisir car c’est vrai que c’est parfois un peu ingrat comme place.
Avez–vous été particulièrement marquée par certains documentaires ?
Oui, bien sûr ! Dans la salle de montage, on discute toujours beaucoup après une vision. Mais parfois, je suis tellement prise par l’émotion que je suis incapable de parler. Cela dit, il y a aussi des films réjouissants, qui donnent la banane, qui nous réconcilient avec le reste du monde. Ou d’autres aux images sublimes, où l’auteur arrive à porter un regard de cinéaste sur une situation de vie.
C’est tellement riche, le documentaire. On en sort grandi. En émotions, en réflexions. C’est en tout cas ce qui me passionne, m’a nourrie durant toutes ces années et m’a apporté, je pense, un peu plus d’humanité.
Entretien mené par Cécile Berthaud.
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