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Jérémie Tholomé, la poésie comme mouvement collectif

jeudi 21 septembre 2023

Poète belge né en 1986, Jérémie Tholomé écrit des textes qui soufflent, qui crient, des textes au cœur battant. Ses mots claquent et respirent, ils sont faits pour être écrits et dits, pour être lus et entendus. Rencontre avec cet écrivain qui est aussi assistant social, enseignant, animateur d’événements poétiques et d’ateliers d’écriture – et qui sera en charge du micro ouvert au Poetik Bazar 2023. 

Juliette Mogenet - L’oralité, la transmission physique et vocale du texte me semble être une des composantes essentielles de ton écriture. Est-ce que ça a toujours été le cas ? Comment es-tu entré en écriture ? 

Jérémie Tholomé - J'écrivais déjà un peu à l'adolescence. J’ai eu des profs de français assez géniaux qui nous avaient parlé de poésie et j’avais trouvé ça fascinant. Mais j’écrivais comme on écrit quand on a seize ou dix-sept ans, dans des carnets cachés au fond de mon tiroir. Je suis assistant social de formation. Quand j'ai commencé mes études supérieures, j'ai complètement laissé tomber l’écriture. J’y suis revenu en 2016, à travers le slam.

Je travaillais avec des jeunes qui étaient dans des situations assez lourdes, souvent en décrochage scolaire, parfois en décrochage social, qui avaient des vies très marquées. Ils se livraient à moi sur leur parcours, leur passé, leur vie quotidienne. À cette période, j’ai ressenti le besoin d’écrire leurs histoires, de déposer sur le papier ce qu’ils me racontaient – peut-être pour l’évacuer, ou pour mieux le comprendre. Je suis revenu comme ça, doucement, à l’écriture que j’avais délaissée des années.

Je faisais avec ce groupe des activités diverses et j’ai un jour participé avec eux à un atelier et à une soirée de slam, à Charleroi. J’ai découvert le slam avec eux, en même temps qu’eux, ce soir-là. Il y avait une bande d’artistes liégeois, il y avait Lisette Lombé, et c’était un moment très fort, très beau. J’ai accroché directement. Je me suis dit : la poésie, ça peut se dire sur scène, et c’est si beau ! Les jeunes ont vite arrêté, mais pour moi, c’était le point de départ. J’ai commencé à fréquenter les soirées slam et je ne me suis plus jamais arrêté. 

JM – Les textes de ton premier recueil déjà, Rouge Charbon, étaient des textes de slam, des textes écrits pour la scène. Est-ce que pour toi, le lien direct avec le public permis par la scène est complémentaire de la publication ? Comment les deux s’imbriquent dans ton travail ? 

JT - Oui, Rouge charbon, c'est un recueil de textes que je disais sur scène quand je fréquentais les soirées slam. Je les avais écrits pour la scène, avec l’envie de dire les textes, de sortir les mots des livres. Dans ma pratique, c’est quelque chose de très important. La poésie, ça reste encore souvent un art de niche. On ne peut pas nier qu’il y a assez peu de gens qui lisent des recueils de poésie.

Pour moi, il y a vraiment ces deux gestes différents dans lesquels s’incarne l’écriture : le geste de rassembler en recueil et de publier, et le geste de dire, d’être là, sur scène, face à d’autres humains. Dans mon travail, ces deux gestes sont complémentaires. Tous les slameurs ne veulent pas publier de recueils, ce n’est absolument pas un passage obligé. Tous les textes écrits pour être prononcés ne se retrouvent pas publiés, ça ne dit d’ailleurs rien de leur qualité. Moi, j’aime que mes textes puissent s’incarner de ces deux manières, j’ai envie de faire sortir les mots de mes livres, mais qu’ils y existent aussi.

Par contre, je trouve que le livre doit avoir du sens : les textes doivent être sélectionnés, rassemblés, tenir ensemble, être audibles aussi dans une lecture silencieuse. C’est précieux pour ça de travailler avec des éditeur·ices – dans mon cas, David Giannoni, de chez maelstrÖm reEvolution. L’éditeur·ice guide, dialogue avec les auteur·ices pour affiner ce travail de sélection, donner une cohérence à la publication. Mélanie Godin, pour L’Arbre de Diane, et Claude Donnay, chez Bleu d’Encre, réalisent également un superbe travail d’édition, et c’est le cas pour la plupart des éditeur·ices belges.

JM – Tu participes depuis sa première édition au Poetik Bazar. Peux-tu me parler de l’importance pour toi et pour la scène poétique d’événements comme celui-là ? 

JT - Le Poetik Bazar, c’est une sorte de Foire de la poésie, un marché qui rassemble des maisons d’édition poétiques, mais c’est aussi et surtout un lieu de rencontre : il y aura des tables rondes, des performances, des dédicaces, des workshops, des moments collectifs auxquels le public pourra participer autant que les poètes et les poétesses présent·es. 

Je pense que parfois, pour le public, la poésie, ça peut faire peur. Celle qu’on apprend à l’école, les récitations obligatoires, certain·es en ont des mauvais souvenirs... Mais en fait, la poésie, c’est tant d’autres choses ! Le Poetik Bazar permet de montrer ça, de rassembler plein de pratiques poétiques diversifiées, accessibles, de casser la barrière invisible qui peut encore exister parfois entre le public et les poètes et poétesses.

Et puis, la poésie, ça ne se fait pas seul. C’est important pour moi de me sentir relié à d’autres, de sentir que nous sommes ensemble, que nous faisons partie d’un collectif. On peut évidemment faire des choses en solitaire, mais ça fait du bien et c’est précieux les moments où l’on se retrouve. Pour moi, publier mes textes, les dire à l’oral pour un public, animer des ateliers d’écriture ou encore travailler sur les textes des autres, ça fait partie d’un même mouvement, ça me permet d’être en lien aux autres et à leurs mots. J’y trouve mon équilibre. C’est pour cet aspect collectif, rassembleur, que je suis assez fan du Poetik Bazar. J’y participe depuis trois ans avec des activités diverses. Pour cette édition, je suis en charge du micro ouvert le dimanche 24 septembre. 

Le Poetik Bazar, c'est aussi un acte politique selon moi, parce que ça fait collaborer des structures néerlandophones et francophones et des collaborations se nouent entre auteur·ices par-delà la frontière linguistique. Trois jours de poésie au cœur de Bruxelles, moi je ne raterais ça pour rien au monde ! 

JM – L’an dernier, au Poetik Bazar justement, tu as monté un spectacle poétique, Memory Babe, dans lequel tu rends hommage à Jack Kerouac et à d’autres poètes de la Beat Generation. Quels sont les artistes, les auteur·ices, vivants ou morts, qui t’inspirent, que tu aimes, que tu lis, que tu écoutes ?  

À l'adolescence, je suis tombé sur Jack Kerouac et sur la Beat Generation. Et puis, quand j’ai découvert le slam et les slameur·euses, Lisette Lombé, Gioia Kayaga, et puis le poète Dominique Massaut et la poétesse Laurence Vielle, qui travaillaient avec Vincent Tholomé, mon oncle, qui est aussi poète. Tom Buron, Katerina Apostolopoulou, Ada Mondès, avec qui j’ai co-écrit Memory Babe, Aurélien Dony est aussi un grand ami et une grande source d'inspiration, j’aime aussi énormément Maud Joiret, poétesse bruxelloise dont la plume est très différente de la mienne et qui m’inspire beaucoup. 

Je pourrais encore en citer plein d’autres, mais globalement ce sont des poètes et des poétesses qui travaillent aussi l’oralité, et avec qui j’ai à la fois des affinités artistiques et des affinités humaines. Pouvoir être en connexion avec elles et eux est très précieux, échanger sur nos pratiques d’écriture, partager. Les gens qui m'inspirent le plus sont en fait principalement des auteurs et autrices belges, des gens que je connais, que je croise, que je fréquente, qui existent dans ma vie, que je vais voir quand ils font des lectures, des spectacles. Il y a un intérêt, une curiosité des un·es envers les autres, et puis de belles amitiés artistiques qui surgissent. 

JM – C’est un des thèmes qu’on retrouve justement dans ton écriture : des vivants en présence qui partagent un espace commun, des rencontres possibles. C’est cohérent, finalement, que cette écriture-là se retrouve prolongée aussi dans le corps physique, la présence, la voix qui transmet. En parlant de transmission, tu évoquais tout à l’heure le fait que tu accompagnes également d’autres auteur·ices dans l’écriture de leurs textes, tu peux m’en dire davantage ? 

Oui ! Il y a une sorte de continuum entre toutes ces pratiques. Accompagner d’autres auteur·ices dans leur écriture, sur le chemin de la publication, c’est tellement enrichissant aussi pour moi ! La poésie, pour moi, c’est un mouvement qui relie, c’est quelque chose de collectif. On fait des choses ensemble à plein de niveaux, on avance ensemble sur un chemin poétique. Il y a de très belles choses à la fois individuelles et collectives qui jaillissent de ces échanges, de ces collaborations. 


Propos recueillis par Juliette Mogenet

Pour aller plus loin

. Visitez le site de Jérémie Tholomé, https://jeremietholome.com, ou plongez-vous dans ses livres : 

  • Rouge charbon, éd. maelstrÖm reEvolution, 2019
  • La Fabrique à cercueils, éd. maelstrÖm reEvolution, 2020
  • Le Grand Nord, éd. maelstrÖm reEvolution, 2022
  • Memory Babe (avec Ada Mondès), éd. maelstrÖm reEvolution, 2022

 . Rendez-vous au Poetik Bazar, 

  • le 23 septembre à 17h30 sur la mezzanine des Halles pour la rencontre avec des maisons d'édition coorganisée par la Scam
  • le 24 septembre à 13h pour le micro ouvert, à Maison des Arts de Schaerbeek (inscriptions sur place)
Jérémie Tholomé, la poésie comme mouvement collectif