Marine en solo, Marine en duo
En cette période de fêtes de fin d'année, la Scam célèbre la littérature jeunesse à travers un portrait inspirant, en mettant en lumière le travail, le parcours et l'oeuvre de Marine Schneider : une autrice dont le pinceau et la plume tissent des histoires poétiques pour les petits.
Lucie Cauwe a rencontré cette autrice talentueuse pour nous.
Marine Schneider a débarqué en littérature de jeunesse en 2015 en Norvège ! Surprenant pour une artiste belge. Trois ans plus tard, elle était publiée en Belgique et en France. Depuis, elle trace son chemin, en solo ou en duo, pour les plus jeunes comme pour les enfants un peu plus âgés. La trentenaire a déjà vingt albums à son actif, dont Hekla et Laki (Albin Michel Jeunesse, 2022), Pépite d’Or au SLPJ 2022, toujours appelé Salon de Montreuil. Elle se raconte.
Près de dix ans après vos débuts, comment considérez-vous votre chemin et les albums que vous avez publiés ? La Pépite d’Or à Montreuil l’an dernier vous a-t-elle changée ?
Il est toujours assez surréaliste que mon rêve d’enfant soit devenu réalité. Il m’arrive encore souvent de m’arrêter net en dessinant pour me dire : mais quelle chance. Quelle chance, car je sais que je suis exactement à ma place en tant qu’autrice/illustratrice, que je fais ce que je dois faire, et que je le fais bien, puisque mon travail est lu, apprécié, et récompensé, notamment grâce à cette Pépite d’Or. Je ne dirais pas qu’elle m’a changée mais elle est arrivée à point dans ma carrière, après un livre un peu charnière, Tu t’appelleras Lapin (Versant Sud jeunesse, 2020). Avec Hekla et Laki, j’ai précisé les contours du genre d’histoires que j’avais envie de raconter. La Pépite d’Or m’a confirmé que j’étais sur la bonne voie.
Quand je réalise qu’il y a déjà presque dix ans que j’ai publié mon premier livre, j’ai un peu la tête qui tourne. Moi, j’ai l’impression d’être au tout début de tout ce que j’ai à raconter.
Comment en êtes-vous venue à la littérature de jeunesse au fond ? Étiez-vous lectrice petite ? Avez-vous continué ensuite à lire des albums ? Qui sont ceux et celles du domaine dont vous admirez le travail et pourquoi ?
J’ai baigné dans les livres depuis ma plus tendre enfance. Mes parents nous en lisaient beaucoup, à mes sœurs et moi, et nous allions une fois par mois à la librairie à Bruxelles (nous habitions en périphérie). Toujours un moment de fête ! Avant les grandes vacances, c’était passage obligé à la bibliothèque. En plus de baigner dans les livres, j’en créais aussi moi-même. Livres illustrés, petites bandes dessinées, histoires courtes, j’ai tout testé. Je dessinais beaucoup, je passais d’ailleurs beaucoup de temps dans l’atelier de peinture de mon père. C’était une évidence pour moi que plus tard, je ferais des livres pour enfants. Le package complet : être autrice et illustratrice. Lors de mon adolescence, il me semble que j’ai un peu délaissé le dessin, mais lorsqu’est venu le temps de choisir des études, je me suis tout naturellement tournée vers des études d’art.
J’admire le ton des textes de Tove Jansson, aussi bien en littérature jeunesse qu’en littérature « pour les grands ». Il y a une simplicité et une naïveté très touchante qui font qu’on s’attache très vite aux personnages et aux histoires qu’ils traversent. De même, en lisant et relisant Max et les maximonstres de Maurice Sendak, je trouve que ce texte relève du génie. Il m’inspire beaucoup dans la manière de créer mes histoires : que dire, que taire, que se passe-t-il entre les lignes et dans l’espace vide (mais plein !) entre texte et image ?
J’aime beaucoup le dessin des Suédois Jockum Nordström ou Eva Lindström. Et évidemment, les histoires de l’Américain Arnold Lobel qui sont comme une couverture douillette dans laquelle s’emmitoufler.
Même si je lis beaucoup de littérature jeunesse aujourd’hui et que je collectionne les albums, j’essaye de garder une distance avec ceux-ci quand je crée. Je me nourris plutôt de cinéma, de musique, de photographie ou de romans.
À quoi pensez-vous quand vous créez un album ? L’idée du livre complet est-elle présente au départ ou pas ? Pensez-vous aux enfants qui vont vous lire ?
Le plus important pour moi est de créer un univers dans lequel l’enfant (et les adultes bien sûr) va pouvoir se plonger. Il est donc question d’ambiance, d’atmosphère, de lumières qui transportent, de son des mots qui rappellent le craquement des branches, le clapotis de l’eau… Je travaille beaucoup sur le rythme de l’histoire, des dessins, des pages qui se tournent et sur la sonorité des phrases. Je commence souvent par écrire un squelette de texte et je gribouille déjà des petites choses dans mon carnet. Ensuite, le texte va prendre un peu plus de place. Lorsqu’il est bien ficelé, je m’attaque au chemin de fer. Il y a beaucoup d’aller-retours entre le texte et les images : il m’arrive de rajouter du texte à la dernière minute, d’en enlever, ou de remplacer une double page par une autre. Je crée beaucoup plus de dessins que ceux que l’on voit dans l’album. Je pense bien sûr au public mais comme je m’adresse aux enfants, je ne cherche pas à faire un texte qui va leur plaire, qui va les toucher. Je m’autorise des mots « compliqués », j’ose aborder tous les sujets. Je pense que mes albums peuvent être étonnants à la première lecture, mais petit à petit, ils sont relus, et relus, et relus. Une maman m’a dit récemment que sa fille de 5 ans a eu peur d’Hekla et Laki pendant un an, mais que maintenant, elle voulait le lire tous les soirs. Pour moi, c’est une réussite !
Quelles sont les techniques que vous utilisez ? D’où vient votre goût pour les paysages, ces ambiances tellement évocatrices ?
Je n’utilise que des techniques « traditionnelles » (non numériques), principalement de la gouache acrylique, des feutres à alcool, du pastel sec, du pastel gras et des crayons de couleurs. J’aime beaucoup la couleur, je suis constamment à l’affût de nouvelles combinaisons qui vibrent entre elles.
J’ai découvert mon amour pour les paysages lorsque j’habitais au Colorado, il y a plus de dix ans. Moi, pure citadine, je me retrouvais au milieu des Montagnes rocheuses, ébahie, éblouie. Je me suis dit : « Voilà ce qui m’inspire, ce qui me parle, c’est dans ce genre de paysage qu’il y a de la place pour mes histoires ». Depuis, je les chasse ! Je voyage beaucoup dans des pays où il y a peu d’empreintes humaines. Comme les pays nordiques, où la nature est encore préservée. Les lumières y sont souvent splendides et m’inspirent beaucoup.
Vous avez commencé par illustrer des textes. Les textes étaient-ils écrits ou le résultat d’une réflexion commune auteure-illustratrice ?
J’ai eu la chance de rencontrer mon premier éditeur (Magikon Forlag, en Norvège) alors que j’étais encore étudiante. Il m’a proposé le texte d’Elisabeth Helland Larsen, « Je suis la mort ». Si j’étais convaincue que je saurais illustrer un album, il allait me falloir plusieurs années avant d’être certaine de savoir aussi en écrire.
Généralement, lors des collaborations avec des auteurs, les textes sont finis et le travail se fait plutôt avec l’éditeur. J’ai beaucoup aimé ces collaborations mais j’ai tellement d’histoires en tête que je vais maintenant me concentrer sur mon travail d’autrice-illustratrice, sauf en cas de coup de cœur absolu pour un texte.
Vous publiez aussi des albums en solo, aussi bien pour les plus jeunes que pour les enfants plus âgés. Comment vous organisez-vous avec cela ?
J’aime beaucoup alterner livre pour les petits et livre pour les plus grands. Mes albums pour les plus grands, Hekla et Laki par exemple, me demandent beaucoup d’implication, comme si j’allais les chercher au plus profond de moi. Je vis dans l’univers de l’album pendant toute sa création (je commence même à m’habiller aux couleurs de l’album). C’est génial et j’adore ça, mais ça demande beaucoup de moi. Lorsque je finis un tel album, je dois dire au revoir à mes personnages, à l’univers que j’ai créé, c’est un peu triste !
Lors de la création de mes albums pour les plus petits, je suis beaucoup plus ouverte sur le monde extérieur, en particulier sur mon fils qui me chuchote des histoires à l’oreille. Pour Presque une histoire de loup (l’école des loisirs/Pastel, 2023), l’observant être à la fois terriblement effrayé et en même temps attiré par le loup, j’ai voulu écrire un livre sur cette ambivalence si propre à l’enfance. J’y mets également beaucoup d’attention, j’essaie de trouver la justesse, le bon ton, les bons personnages. Il est très difficile d’écrire pour les petits, plus que pour les plus grands, selon moi, mais l’implication émotionnelle et personnelle est différente.
Vos livres racontent des histoires mais ils ne disent pas tout.
C’est vrai que je ne dis pas tout, et d’ailleurs, alors que je suis l’autrice, je ne sais pas tout non plus. Dans Tu t’appelleras Lapin, je ne sais pas d’où vient le lapin, s’il est mort, et je ne sais pas pourquoi Belette habite toute seule, et d’où vient ce drôle de prénom ? Ça étonne beaucoup les enfants quand je leur dis que je ne sais pas tout. Peut-être est-ce une façon pour moi de laisser de la place au lecteur pour qu’il s’y glisse, mais j’avoue que c’est assez intuitif et très peu contrôlé. J’essaie quand même de trouver un juste milieu entre fins ouvertes qui peuvent être un peu frustrantes pour un lecteur, et les fins qui invitent le livre à continuer son chemin dans la tête une fois la lecture terminée.
Propos recueillis par Lucie Cauwe
Pour aller plus loin
Visitez le site de Marine Schneider : www.marine-schneider.com
Ou découvrez ses livres :
- L'escapade (2023)
- Les bêtes sauvages grandissent la nuit (2023)
- Presque une histoire de loup (2023)
- Hekla et Laki (2022)
- Maman tambour (2022)
- Petit ours, Petit ours (2022)
- Pippa (2022)
- Le Bison Non-Non (2021)
- Le chant des loups (2021)
- Le gang des chevreuils rusés (2021)
- Pas plus haut que trois pommes (2021)
- Petit ours, Tout petit ours (2021)
- Blaireau (2020)
- Grand ours, petit ours (2020)
- Tu t’appelleras Lapin (2020)
- Je suis la Mort (2019)
- Je suis la vie (2019)
- Je suis le clown (2019)
- L'Ours Kintsugi (2019)
- Hiro, Hiver et Marshmallows (2018)