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Parole d'autrice : Bénédicte Liénard, le cinéma comme une aventure

Jeudi 26 Septembre 2024

Sélectionné au FIFF de Namur, Fuga est le nouveau long-métrage de Bénédicte Liénard en collaboration avec Mary Jiménez. Rencontre et discussion sur son travail, ses envies et ses pratiques d’autrice. 

Elli Mastorou : Documentaire, fiction, théâtre, installations vidéo... Vous avez dit « Le champ de mon intervention artistique ne se résume pas au cinéma ». Comment le résumeriez-vous ?  

Bénédicte Liénard : C'est très ouvert, et c'est aussi très organique – comme tout mon travail. Je pense que fondamentalement, je suis une aventurière. C'est l'aventure qui m'intéresse. Le cinéma est le premier médium : une aventure, ce sont d'abord toujours des images et des sons. La forme, finalement, va répondre à l'aventure suivant les nécessités, les temporalités... et les réalités budgétaires. C'est une vie d'aventures, de ne jamais refaire deux fois la même chose.

Dès le début, sans le conceptualiser, j'ai toujours eu horreur de reproduire, d’appliquer une formule. Par les collaborations, par les rencontres, je tente de renouveler mon langage, d’explorer des choses que je ne connais pas. C'est un risque différent, et ça me donne l'impression qu'à chaque fois, je fais un premier film. Le risque, il est cher à payer. Mais c'est ce qui me rend vivante. 

D’où vient cette envie d’aventures ? D’où vient l’envie du cinéma ?

La racine, c'est un désir profond de garder en mémoire les gens que je rencontre, à travers des sensations, par des images et des sons. Et ça, c'est arrivé très jeune, vers 15 ans. La vie m'émerveille. Je suis bouleversée, intéressée, traversée par la nature humaine, même dans ce qu'elle a de plus trouble. Entrer en création c'est pour, peut-être ne pas tout comprendre, mais en tout cas dialoguer avec ces dimensions. Et puis j'aime le langage cinématographique ; le malaxer, le questionner...

Plus j'avance, plus je réalise à quel point les films sont les objets qui révèlent un moment de notre mémoire avec le monde. Ce qui reste des films, ce sont les gens qu'on a filmés, dans un moment partagé.

Réel et fiction sont toujours en dialogue dans votre démarche de travail – dès Une part du ciel, votre premier long de fiction ?

Déjà avant tout, on parle de cinéma. Naturellement, je passe par une démarche documentaire. J'ai besoin de rester longtemps avec les gens, de vivre avec eux, d’adopter leur quotidien jusqu’à ce qu’il devienne mien. C'est ce qui va planter le début de quelque chose. À l'intérieur de ces expériences je ne peux pas empêcher mon imaginaire de galoper – c’est la fiction, que voulez-vous (rire) ! Il y a le réel, mais il y a toujours cette zone où les choses débordent du cadre. Une image qui arrive, qui n'a peut-être rien à voir. Je me mets à projeter des choses et à les mettre en mouvement. Et quand ce mouvement devient commun, nous sommes au cœur de nos imaginaires.

Une part du ciel, c'est ma rencontre avec Bella Spiga, qui a passé 9 ans de sa vie en prison. Elle joue dans le film, et est devenue une amie. A ce moment-là, je suivais aussi le procès des 13 de Clabecq, le groupe de militants syndicaux qui avait mené une lutte exemplaire au moment de la fermeture des forges. C'est la vie qui m'a conduite, à un moment, à mettre ces éléments en relation : l'usine, la prison.

Mettre en relation des éléments qui apparemment n'ont pas directement un lien : c'est ça qui m'intéresse. Parce que ce qui va se passer là m'échappe, et à la fois crée quelque chose de nouveau. Plus j'avance, plus je trouve que faire du cinéma, c'est comme faire du tissage. On tire un fil, puis un autre... C'est la mise en relation, là aussi, de choses différentes, qui créent quelque chose de nouveau. Fuga s’est construit comme cela. 

Comment est né Fuga

Dans les années 70 et 80 au Pérou, le mouvement Sentier Lumineux et MRTA, des groupes armés révolutionnaires, ont viré sanguinaires. Ils avaient comme mot d’ordre de nettoyer le pays de cette « vermine », en parlant des personnes homosexuelles. Le 31 mai 1989, un massacre de personnes trans a eu lieu dans le bar Las Gardenias de Tarapoto. Avec Mary Jiménez, nous avons entrepris des recherches sur cette histoire et plus largement, nous avons commencé à écouter les histoires de la communauté LGBT+.

Par ailleurs, les témoignages de cette communauté n’ont pas été entendus lors de la commission de la vérité et de la réconciliation. La honte, encore ! Nous sommes ainsi parties à la recherche de récits. De village en village. Et puis, nos imaginaires se sont mis au travail. C'est un lieu qui me passionne, mais c'est vertigineux, de frotter la fiction et le documentaire de cette façon 

Comment mettez-vous en relation ces récits de personnes LGBT+ au Pérou avec votre histoire et celle de Mary Jiménez ?

D’abord, ce sont nos expériences, à la fois intimes et politiques, qui résonnent. Mary et moi-même, nous connaissons la honte, d’une manière ou d’une autre. Ce que les protagonistes de Fuga traversent et ont traversé, nous pouvons le ressentir. Aujourd’hui, nous assistons à une recrudescence de l’homophobie, que ce soit en Amérique latine ou en Europe, et nous ne sommes jamais à l’abri.

Comment est arrivé le personnage principal du film, incarné par Saor Sax ?

Pour nous, il est très important de pouvoir parler du passé mais au présent. Aujourd’hui et maintenant ! Dès le début des repérages, Saor nous a accompagnées dans cette écoute d’histoires. Saor est un artiste : iel peint, écrit, iel a une vie très précaire et fragile. Nous l’avions rencontré lors d'une performance à Iquitos, là où nous avons tourné By the name of Tania. À travers Saor, nous voulions que la jeune génération LGBT+ entende la souffrance et l'expérience des aînés, et mettre en relation des gens qui ne se rencontreraient peut-être jamais.  

Comment décririez-vous votre pratique de travail en duo avec Mary Jiménez ?

Ce que je trouve fantastique dans cette alliance, c'est qu’il n'y a pas d'autocensure. Depuis que je travaille avec Mary, mon imaginaire est beaucoup plus libre ! Nous sommes très différentes, et complémentaires, au niveau de l'imaginaire et de la personnalité. Il faut donc construire un dialogue entre nous pour trouver le lieu qui nous rassemble. Parce qu'il faut le trouver ! Nous continuons à apprendre l’une de l’autre et c’est précieux. Et des deux cinéastes, apparait une troisième, qui signe Fuga.

Écriture, tournage, montage : quel est votre processus pour chacune des étapes d’un film ?    

Ça change d'un film à l'autre. D'abord, il y a une récolte. Après il y a la retranscription brute de cette récolte. Ensuite, une sélection s’opère. Nous n’écrivons pas tout de suite et nous échangeons beaucoup. Nous lisons, regardons des films et laissons les éléments se connecter les uns aux autres. Puis, une idée apparaît et ensuite, une autre. Pour Fuga, c'est « l'histoire de quelqu’un qui va enterrer un être aimé, et le passé ressurgit ». À ce moment-là, nous savons que nous disposons potentiellement d’une dramaturgie…

Au fond, la fiction c'est un prétexte pour raconter ce qu'on doit, ce qu'on veut vraiment raconter. C’est aussi une manière de trouver une forme qui va permettre au spectateur de rencontrer et d’accueillir les personnes et les histoires qui nous bouleversent. 

Essayons…
 

Propos recueillis par Elli Mastorou

Pour aller plus loin

. Fuga est à découvrir au FIFF, le 28/09 à 20h30 et le 03/10 à 15h30, au Caméo 4 à Namur.

. En savoir plus sur Bénédicte Liénard et ses précédents films

Parole d'autrice : Bénédicte Liénard, le cinéma comme une aventure