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Pleins feux sur Faustine Cros, Prix Scam Documentaire 2022 pour Une vie comme une autre

Samedi 22 Avril 2023

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 "Un regard sans concession mais tendre [...] qui trouve sa forme dans le déploiement des différents points de vue et strates du temps" : quelques mots pour commencer à décrire le travail de Faustine Cros, dont le magnifique film Une vie comme une autre lui a valu le Prix Scam du Documentaire 2022. Découvrez à cette occasion l'éloge écrit pour elle par le Comité ainsi qu'un portrait de la cinéaste.


L'éloge du Comité

L’histoire que Faustine Cros nous raconte est effectivement « une vie comme une autre », la vie de sa mère, la vie de sa famille, la sienne. Une vie comme bien d’autres, pleine de non-dits, de souffrance, d’incompréhensions. Une vie comme bien d’autres, sauf que cette vie a été fixée sur pellicule par son père.

Faustine prolonge le geste de son père, reprend ses images, les décrypte avec obstination durant de longs mois, tourne à son tour sa caméra sur sa famille, pour finalement comprendre ce qui se jouait sous ses yeux, ce que son père n’a pas vu. Dépassant ses rancœurs, elle nous raconte deux générations de femmes. La première, celle de sa mère, prise dans les rets d’une société encore patriarcale, qui l’empêche d’être elle-même et la détruit ; la deuxième, la sienne, qui après avoir vécu la destruction maternelle dans sa chair, prend de la distance et tend la main dans un geste conciliant. Ni larmoyant, ni trop intime ou voyeuriste : un regard sans concession mais tendre, guidé par la conscience de la complexité de la vie de famille, qui trouve sa forme dans le déploiement des différents points de vue et strates du temps.

Prix 2022 banners Web FaustineCros Citation

Dans son film, étonnamment maîtrisé pour une première œuvre, Faustine Cros raconte à sa façon la face aliénante du quotidien. Avec sensibilité, simplicité et une grande humanité.

Nina Toussaint et Isabelle Rey, membres du Comité belge de la Scam


Portrait de la cinéaste, par Elli Mastorou

Dans Une vie comme une autre, Faustine Cros se plonge dans les archives familiales à la recherche de sa mère. Produit par Dérives, ce puissant portrait recomposé d’une femme et son rapport conflictuel à la maternité a fait sa première mondiale à Dok Leipzig où il a reçu le prix Silver Dove - et les sélections et les prix se succèdent depuis… Prix du documentaire Scam y compris. Pour ce premier long métrage de Faustine Cros, rencontre autour de ses « premières fois » de cinéma.

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Premier souvenir de cinéma : les films de Chaplin

Quand j’avais environ 4 ou 5 ans, avec mon petit frère et mes cousines du même âge, mon grand-père nous montrait Les Temps Modernes, Le Kid… et refaisait toutes les scènes. Ça nous faisait beaucoup rire !

Premiers films : les classiques du quartier latin

Ado, tous les dimanches avec mon père, on allait voir un film culte dans un cinéma du quartier latin à Paris. J'ai découvert comme ça Marilyn Monroe, Buñuel, Fellini, Michael Cimino… Mon premier choc de cinéma ? The Shooting de Monte Hellman : une sorte de western métaphorique avec Jack Nicholson dans un de ses premiers rôles. C’est la première fois où j’ai pris conscience de la puissance de l'imaginaire, de tout ce que le spectateur peut se raconter à travers une histoire.

Premières envies de cinéma : entre évidence et questionnement

Je viens d'une famille de réalisateurs : mon grand-père, et mon père. Ma mère était maquilleuse de cinéma, et globalement tout le monde dans ma famille était artiste, de près ou de loin, dans le cinéma ou ailleurs. Avec mon frère ou d'autres enfants, dans notre enfance, on prenait la caméra, on faisait des petits films de vacances… J’ai grandi en me sentant un peu « prédestinée » à ça, et je pense que ça a été un des points aveugles dans mon histoire pendant longtemps. Après un BTS audiovisuel en montage, j’ai étudié le montage à l’INSAS.

Premiers pas : du montage à la réalisation

Ce qui était très fort à l'INSAS, c'est cette volonté de nous pousser à penser comme des cinéastes, et non pas comme des simples presse-boutons. On nous donnait beaucoup de place pour développer une pensée, une vision, et aller au bout de ça. En apprenant à construire ma propre méthode de travail, en lien avec ma sensibilité, j’ai vraiment trouvé la monteuse en moi. Un apprentissage qui s'est prolongé en continuant à monter d'autres films. Ce que j'adore dans le montage, c'est donner l'impression que ‘ça sort tout seul’, que c'est le spectateur qui se raconte l’histoire, alors qu’en vrai, c'est toute une construction invisible...

Premier court métrage : La Détesteuse (2015, INSAS) et le trou de mémoire

C’est un exercice de 10 minutes où je questionne ma mère à propos d’un souvenir confus dans mon enfance : je me souviens qu’un jour, elle a lancé un couteau dans ma direction. Mais j'ai oublié tout le reste, le pourquoi, le contexte. À partir d’images d'archives filmées par mon père, j’essaye de combler ce trou de mémoire. C’est le début de la démarche qui m'a menée à faire ensuite Une vie comme une autre, qui est beaucoup plus apaisé − tout l'inverse de La Détesteuse (rire) !

Premier long métrage : Une vie comme une autre, portrait maternel à rebours

J'ai grandi avec une mère qui a beaucoup souffert d'être mère. Elle tombée en dépression dans mon enfance, et en 2015 elle a fait une tentative de suicide. Je venais de finir La Détesteuse à ce moment-là, et il y a eu un déclic en moi. J’ai eu besoin de comprendre comment elle en était arrivée là. Mon père a énormément filmé les 10 premières années de ma vie, et je m’y suis replongée. Pour retrouver ma mère, et relire aussi ma propre histoire, pour mieux comprendre notre relation. Petit à petit, j'ai vu dans ces images d’archives se dessiner le portrait d'une femme qui devient mère, et qui tombe en dépression. J'ai pu reconstituer tout ce qu'elle était en train de vivre – autant devant la caméra qu’en hors-champ.


Une vie comme une autre : de l’intime au politique

Quand je suis née, ma mère a choisi d’arrêter de travailler, mais dans l’idée que c'était temporaire, et qu’elle reprendrait après. Mais elle n’a pas réussi. Le milieu du cinéma est déjà précaire en soi, alors en tant que mère de famille, c'est quasiment impossible de trouver du boulot. C’est cet aspect sexiste de la société que le film raconte aussi, et qui fait que beaucoup de femmes s’y reconnaissent je pense. Ce qu’a vécu ma mère interroge toute la manière d'organiser la maternité dans la société. Des femmes m’ont souvent dit qu’elles n’ont jamais senti le patriarcat autant que quand elles ont eu des enfants.

Autrice : un processus

Le montage est pour moi l'écriture principale du film. Ensuite, poser ma voix en off me paraissait très important : ma mère est le personnage central, mais elle est racontée à travers sa fille. C'est ce qui amène la distance aussi, sur ces images filmées par mon père. C'était important d'établir cette hiérarchie des regards : ce sont ses images, mais c'est mon regard, c'est moi qui les relis, qui les questionne, et qui interroge aussi son regard à lui. La réappropriation de ces images pose la question de ma trajectoire en tant que personnage dans le film, et de mon regard en tant que réalisatrice.

C’est aussi pour ça que j’ai filmé ma mère, avec ma caméra. Les moments où elle me dit ‘J'en ai marre, tu me filmes tout le temps en train de fumer’ c'est devenu important pour moi non seulement de les monter, mais de les penser, de les écrire. Ce film, je fais avec elle, c'est important pour moi qu'elle puisse dire ‘Je n’ai pas envie’. C’était déjà mon dispositif dans La Détesteuse, mais réussir à le scénariser, le conscientiser, c'est devenu un aspect important de mon regard de cinéaste. Et ce regard, j'ai vraiment commencé à le questionner en profondeur avec ce film : pourquoi je veux faire ce métier, en quoi ça m'appartient et ce n’est pas juste la reproduction de schémas familiaux ? C'est à la fois une reconnaissance, et une réappropriation.

Propos recueillis par Elli Mastorou


Pour aller plus loin

. Voir plus d'informations sur son film et sa bande annonce

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Pleins feux sur Faustine Cros, Prix Scam Documentaire 2022 pour Une vie comme une autre