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Salons du Livre, par Thomas Gunzig

Jeudi 21 Juin 2018

Riches de toutes les écritures qu’elles représentent, la SACD et la Scam vous proposent dans leur Magazine des regards croisés entre des auteurs et des autrices. Pour multiplier les points de vue, confronter les idées, offrir des variations sur un thème... Pour le numéro consacré aux Festivals, Thomas Gunzig relate son expérience d'auteur dans un salon du livre.

« Je publie des livres depuis plus d’un quart de siècle. Un quart de siècle, à l’échelle d’une vie humaine, c’est déjà long. Un quart de siècle, ça veut dire que du statut de « jeune auteur », j’ai fini par lentement glisser vers celui, moins enviable, moins intéressant et surtout moins sexy « d’auteur » tout court.

Durant ce quart de siècle, j’ai été invité à d’innombrables « salons du livre », « fêtes du livre », « festivals du livre », « rencontres », « manifestations », « colloques », « débats », « ateliers » ou bien encore « forum ».

J’ai répondu positivement à presque toutes les invitations. Sans doute parce que j’étais flatté. Sans doute parce que j’imaginais que ça permettrait à l’un ou l’autre de mes livres de mieux fonctionner. J’y suis allé sans doute motivé parce quelque chose que je crois devoir appeler : « conscience professionnelle ».

J’ai passé un nombre incalculable d’heures dans des trains, des gares, des aéroports, des bus pour rejoindre ces villes ou ces villages, parfois ces hameaux qui pour des raisons souvent obscures, avaient décidé de m’inviter.

Aujourd’hui, avec ce recul d’un quart de siècle, je peux sans difficulté établir une typologie des « invitations d’auteurs ».

Dans cette typologie, il y a évidemment ce que j’appellerais, les « invitations réussies ». Il s’agit d’invitations à des événements bien organisés. On vous a envoyé vos billets d’avion ou de train, on vient vous chercher à votre arrivée, on vous installe dans un hôtel confortable, une rencontre est organisée avec des lecteurs à l’issue de laquelle, on vous remet une enveloppe contentant quelques billets.

J’attire votre attention sur le fait que ces invitations là, sont extrêmement rares et à côté de ces « invitations réussies », il y a toute la douloureuse déclinaison, tout le lugubre échantillonnage des « invitations pénibles ».

Il y a cette invitation à un salon plus ou moins prestigieux, mais, si les stars y bénéficient du meilleur hôtel, celui du centre-ville, les seconds couteaux dont vous faites partie seront relégués dans les auberges humides, parfois malodorantes, de la périphérie (à côté du car-wash, après le passage à niveau).
Le soir, après une rencontre dans une médiathèque devant une poignée de collégiens désabusés, votre voix hésitante essayant de couvrir le bruit de la machine à café en libre accès, vous regagnez à pied, sous la pluie le logement qui vous aura été attribué en ruminant l’amertume de votre condition d’auteur raté.

Il y a cette invitation à une fête du livre d’une petite commune non desservie par les TGV. Après avoir passé, contraint/forcé la nuit à Paris dans un hôtel Formule 1, après avoir dormi dans des draps aussi rêches que du papier brouillon, vous avez pris un TER à l’aube et vous arrivez épuisé.
Personne ne vous accueille. Il vous appartient de trouver le chapiteau installé sur la place du village. Votre place est derrière une table en bois recouverte d’une nappe aux couleurs de la mairie. Le libraire n’a pas reçu vos livres. Vous attendez qu’ils arrivent en compagnie d’un marchand de salaisons locales qui occupe l’espace à côté du vôtre. Vous confondant avec un employé, des visiteurs vous demandent où se trouvent les toilettes.

Il y a cette invitation officielle pour un salon du livre dans un pays exotique. Vous vous étonnez que l’on ait pensé à vous. Personne, ni votre éditeur, ni le ministère n’a vraiment d’explications. On vous demande d’avancer l’argent de l’avion, on vous demande d’avancer l’argent de l’hôtel, gardez bien les notes relatives au taxi qui vous conduira, de nuit, à travers les rues défoncées d’un pays presque en guerre. L’homme au volant vous demandera un prix exorbitant, il prétendra ne pas pouvoir vous donner de reçu. On ne viendra pas vous chercher, vous devrez mener une enquête compliquée, interrogeant dans votre anglais grotesque les guichetiers du métro, pour trouver l’université située à l’autre bout de la ville. Et là vous devrez localiser l’auditoire. Il s’y trouvera quatre étudiants en langues qui vous expliqueront qu’Amélie Nothomb a malheureusement décliné l’invitation. Vous êtes un second choix.
À votre retour, il s’agira, si vous voulez être remboursé de vos frais, de rédiger un « rapport de mission » dont vous ne saurez jamais s’il sera lu.

Les souvenirs de ces vingt-cinq années d’invitations se confondent les uns avec les autres : toutes ces écoles, toutes ces classes, tous ces cafés pris dans les salles de profs, ces halls omnisports transformés pour un week-end en braderie du livre.

Le soir tombe, vous ne connaissez aucun des autres auteurs invités, votre timidité vous empêche de faire connaissance, on vous trouve d’ailleurs bizarre. Vous voilà laissé à vous même dans une région glaciale (tous se passent en Automne) où vous errez, affamé le long de rues où des poids lourds passent à toute vitesse, vous frôlant dangereusement.
Vous hésitez avant de rentrer dans cette pizzeria ou ce snack à dürüm dont l’unique employé ressemble à un Taliban. Rien ne demande plus de courage que, dans une ville inconnue, rentrer seul dans un restaurant. Vous y mangez solitaire, faisant mine de lire un livre, mais en réalité incapable de vous concentrer tant le tragique de la situation vous renvoie une calamiteuse image de vous même.
Vous priez pour que personne ne vous reconnaisse, mais c’est à cet instant qu’un groupe d’auteurs appartenant à une grande maison font leur entrée et lancent : « mais il est seul, le Belge ! Mais viens donc »… Le calice jusqu’à la lie.

Des histoires sur les salons du livre, j’en ai des centaines, des milliers, je pourrais en faire un recueil que j’appellerais Misère d’une profession inutile. Ça ne fonctionnerait pas, comme d’habitude. Mais on m’inviterait pour en parler. Et comme d’habitude, j’irais.


Chaque fois, au retour, je me promets de ne plus partir, de faire ce que je préfère : rester seul chez moi.
Mais chaque fois je repars.
Je ne sais vraiment pas pourquoi.
Il doit y avoir en moi un pervers que je connais mal. »

Thomas Gunzig


L'auteur

Thomas Gunzig est un auteur belge né en 1970 et pas encore mort.
Il a écrit des nouvelles et des romans diversement appréciés par les lecteurs ou la critique. Parfois il a reçu des prix, mais le plus souvent, il n’en recevait pas.
Il a aussi écrit pour le cinéma parce que ça rapporte plus d’argent que la littérature pour moins de travail. Enfin, il a écrit pour la scène parce que parfois, il trouvait que c’était moins sinistre de travailler avec des gens que tout seul.


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Photo : Hannah Gunzig

 

Salons du Livre, par Thomas Gunzig