WITA est-il sérieusement menacé ?
Alors que le régime des travailleurs et travailleuses des arts (parfois appelé "statut d'artiste") est mis en question, il s'agit d'une "ligne rouge" à ne pas franchir, pour la ministre de la Culture Elisabeth Degryse (Les Engagés). Qu'en est-il des antécédents de ce dossier et des réactions du secteur ? Frédéric Young, délégué général de la Scam, fait le point sur la situation et nous livre son analyse.
Le respect des engagements formels
Les promesses (électorales par exemple) n’engagent que ceux et celles qui les écoutent certes, mais les engagements formels, par écrit ou au Parlement, sont d’une autre nature : ils fondent la crédibilité même d’un parti ou d’une organisation, et celle de leurs dirigeant.es.
Rétroactes
Durant plus de 10 ans, les travailleurs et travailleuses des arts ont subi une intermittence de leurs activités et de leurs revenus, et une invisibilisation professionnelle et sociale.
La crise sanitaire ayant mis douloureusement en lumière une réelle précarité, trop répandue, structurelle, une vaste concertation innovante, suivie d’une négociation politique, a permis d’enfin faire advenir un dispositif législatif et administratif efficace, adapté aux caractéristiques spécifiques des secteurs « artistiques » et permettant de « contribuer à une protection sociale durable pour les travailleur·euses des arts ». Ce régime nouveau a pris le nom de Working In The Arts – WITA.
À la veille des élections législatives de juin 2024, tous les partis démocratiques francophones s’accordent[1] sur quelques points essentiels, dont celui de ne pas défaire ce qui venait d’être construit. Ce que la présidence du MR confirmera par courrier à la CTEJ[2]
Après les élections législatives, le formateur Bart De Wever fait alors circuler des versions successives de « super-notes » servant de base aux discussions en vue de former une nouvelle majorité, qui prendra le nom d’Arizona. Il y propose la suppression de ce régime que la N-VA considère comme inutile et coûteux. Vooruit et Les Engagés acceptent de participer à cette nouvelle coalition à la condition (notamment) que cette idée disparaisse de l’accord de gouvernement.
Tous les partis de l’Arizona s’accordent sur un texte qui ne mentionne aucun changement au régime du travail des arts.
En février dernier, le Vice-Premier Ministre David Clarinval déclarait d’ailleurs sans aucune ambiguïté à la Chambre : « Nous ne touchons pas à la réforme que nous avons menée pour les travailleurs du sexe, ni à la réforme que nous avons mise en place pour les artistes. Je trouvais que les exemples… donnaient l'impression que nous voulions les supprimer, alors qu'au contraire, nous les avons sauvegardés ».
Dans sa déclaration de politique pour les Affaires sociales en mars dernier, le Vice-Premier Ministre Frank Vandenbroucke quant à lui précisait : « Comme le prévoit la loi du 16 décembre 2022, une évaluation approfondie du fonctionnement et du cadre réglementaire de la Commission du travail des arts sera menée début 2027. [...] Cette analyse devra mettre en lumière l’impact concret de la réforme, tant sur le marché du travail que sur les différentes branches de la sécurité sociale concernées en vue de contribuer à une protection sociale durable pour les travailleurs des arts. Je m’assurerai que l’équipe Working in the arts continue d’offrir un service de qualité aux travailleurs des arts et de soutenir les travaux de la Commission. »
Le gouvernement Arizona, les membres francophones de sa majorité, le MR et Les Engagés, sont donc redevables de leurs engagements formels ains que du respect loyal de l’accord de gouvernement envers les travailleurs et travailleuses des arts et de tous les entrepreneur·euses et employeurs du secteur culturel et créatif, unanimes à exiger la « sauvegarde » inchangée du régime WITA en place depuis un an seulement.
Il faut se féliciter que le Vice-Premier Ministre fédéral Maxime Prévot, la Ministre fédérale Vanessa Matz et la Ministre-Présidente Elisabeth Degryse aient, au moment opportun et de façon limpide, rappellé l'accord de gouvernement.
Du côté des professionnel·les
Ils soulignent d’ailleurs dans un texte élaboré au sein de la Commission du travail des arts en cours de signature dans tous les secteurs concernés que « trop souvent nos fédérations ont eu à constater que des pratiques inacceptables peuvent venir précariser l’emploi et contourner la juste rémunération des travailleurs et travailleuses. … Les balises qui ont été apportées par la législation à l’octroi et au renouvellement des allocations de travailleurs des arts ont permis de mieux prendre en compte les spécificités du travail des arts qui se distingue de la plus grande majorité des salariés, comme les études socio-économiques le montrent ».
La Scam soutient donc le texte intégral qui suit et poursuivra ses actions en vue de garantir le respect des engagements formels pris envers les auteurs et les autrices et les autres travailleurs et travailleuses des arts en toute solidarité.
Lettre de la Commission du travail qui sera envoyée ce vendredi 28 mars aux ministres Clarinval et Vandenbroucke
Monsieur le Vice-Premier Ministre,
Monsieur le Ministre de l’Emploi, de l’Economie et de l’Agriculture,
Cher Monsieur Clarinval
Monsieur le Vice-Premier Ministre,
Monsieur le Ministre des affaires sociales,
Cher Monsieur Vandenbroucke,
Nous vous écrivons au nom des fédérations agrées ou des membres de la Commission du travail des arts signataires.
Nous avons appris par la presse que dans le cadre des négociations « emploi et chômage », il aurait été envisagé d’inclure éventuellement les nouvelles allocations du travail des arts dans le périmètre de ces décisions, alors que la déclaration gouvernementale exclut cette hypothèse.
Vous avez tous deux contribué lors de la législature précédente à construire ce nouveau régime dans le but de consolider l’emploi rémunéré et inséré dans la sécurité sociale dans les secteurs et industries culturelles et créatives, ce dont nous vous remercions.
Nos savons que vous êtes pleinement conscients de l’importance socio-économique des activités dans nos secteurs (environ 4% du PIB , plus de 200.000 emplois), sans parler de leur dimensions démocratiques, culturelles et de cohésion sociale.
L’accord de gouvernement indique que la majorité nouvelle entend poursuivre sans modification la mise en place du nouveau régime et réaliser une évaluation en 2027 après un délai raisonnable nécessaire pour évaluer scientifiquement les effets structurant sur l’emploi et sur les conditions de travail que favorise cette protection sociale adaptée et effective à laquelle les bénéficiaires contribuent par leurs cotisations en proportion de tous leurs revenus professionnels.
Nous savons par les contacts pris que les deux ministres de la Culture, de la Communauté flamande comme de la Fédération Wallonie-Bruxelles, soutiennent, elles aussi, cette démarche pragmatique et raisonnable.
Trop souvent nos fédérations ont eu à constater que des pratiques inacceptables peuvent venir précariser l’emploi et contourner la juste rémunération des travailleurs et travailleuses.
Nous constatons que le nouveau régime produit déjà des effets bénéfiques au plan individuel comme collectif en clarifiant les règles, en simplifiant la gestion des dossiers, et en soutenant les bonnes pratiques.
Les résultats d’une première année de travail et d’apprentissage de la Commission témoignent du soin apporté au traitement de chaque dossier et du sens global de la responsabilité des membres au moment de décider de l’attribution des attestations. Son premier rapport est en cours de rédaction.
Les balises qui ont été apportées par la législation à l’octroi et au renouvellement des allocations de travailleurs des arts ont permis de mieux prendre en compte les spécificités du travail des arts qui se distingue de la plus grande majorité des salariés, comme les études socio-économiques le montrent.
Supprimer ce régime en imposant aux travailleurs des arts les mêmes règles qu’à d’autres reviendrait à créer une discrimination inacceptable à l’égard des premiers.
Nous nous permettons donc d’insister pour que vous poursuiviez dans la voie prévue par la déclaration gouvernementale avec détermination et d’éviter tout recul ou même modification prématurée et préjudiciable aux objectifs d’emploi du gouvernement.
Veuillez agréer, Messieurs les Vice-Premiers Ministres, l‘expression de notre haute considération.
La Commission du travail des Arts
[1] Synthèse du débat électoral culturel à la MEDAA
[2] https://www.scam.be/fr/actualites/notre-synthese-du-debat-electoral-du-04-juin-2024
Pour aller plus loin
. Écouter l’interview de la Ministre Vanessa Matz (Les Engagés) dans Matin Première, à partir de 10 minutes 36
. Voir l'intervention de Caroline Gennez (Vooruit), ministre flamande de la Culture au Parlement flamand
. Lire « Pourquoi la réforme du chômage met en péril le statut d’artiste », un article d’Alain Lallemand dans Le Soir
. Signer la pétition lancée par Groen
. Voir l'interview de Frédéric Young, délégué général de la Scam et de la SACD, sur BX1, à partir de 6 minutes 34.
