Yasmina Hamlawi, « raconter des histoires nous rapproche »

L'appel à projets Gulliver pour la création documentaire sonore (radio et podcast) 2024 est ouvert! Pour vous inspirer, découvrez le portrait de Yasmina Hamlawi, lauréate Gulliver 2020 et 2022. 

Conteuse du réel, Yasmina Hamlawi défend les droits humains par le récit. Que ce soit avec son stylo ou son micro, la documentariste porte la parole des sans-voix pour raconter avec beauté la complexité de notre société. 

Après ses documentaires radiophoniques primés Le prix de l’exil et Perle, Yasmina Hamlawi finalise actuellement une troisième réalisation : Pleuvoir sur les morts. En attendant de découvrir à la rentrée cette nouvelle création soutenue par le Fonds Gulliver, le temps d’une rencontre, la Scam plonge dans son univers de tisseuse de liens.

Portée par les idéaux

Née en France en 1975, Yasmina Hamlawi étudie le droit international avant de se diriger vers la presse écrite. « À travers ma fonction de journaliste, je voulais défendre de grands idéaux. » Riche des histoires récoltées sur le terrain, et inspirée par la volonté de résonance et de possibilités d’impact plus forts, elle se met en quête de nouvelles manières de faire récit. Une rencontre vient alors marquer un tournant.  « Je couvrais la situation des sans-papiers en grève de la faim pour le magazine Axelle. Parmi ces personnes-courage, j’ai discuté avec une mère de famille qui avait laissé ses enfants au pays : Rabia. En l’écoutant, je me suis dit que retranscrire ses propos par l’écrit ne serait jamais aussi fort que de l’entendre raconter elle-même avec sa voix, ses émotions, ses respirations… » De la parole de Rabia naitra son premier documentaire sonore : Le prix de l’exil, sorti en 2012, reconnu d’une grande humanité et nominé au Prix Europa 2012, ainsi qu’au Festival Longueur d’Ondes 2013.

Mettre en lumière beauté et la complexité

Mais avant de parler des prix, reprenons le fil. Décidée à suivre la voie de sculptrice du son, c’est notamment à travers les ateliers de l’ACSR que petit à petit, l’autrice se concocte sa boite à outils. « Je suis tombée en amour, pour la manière de rendre tangible une émotion, de donner du grain à une voix pour éclairer des situations avec beaucoup plus de force. » Cette nouvelle approche lui permet alors de déployer tout son intérêt pour l’écriture du réel.  « À travers le travail de la narration, on peut mettre en lumière la beauté et la complexité des personnes rencontrées, et ce pour apporter un peu de compréhension sur un sujet, des thématiques. Aussi, les récits nous amènent à nous enrichir de génération en génération, ils nous rapprochent, nous lient.  Ça me touche beaucoup cette question de l’importance des récits. »

Des rencontres qui racontent 

Que ce soit avec sa plume ou son micro, Yasmina Hamlawi porte un regard affuté sur le monde. Par le portrait, elle conte le collectif et ouvre la porte de l’intime pour traiter de l’histoire avec un grand H, l’histoire politique. « Je suis attentive à ce qu’il se passe dans la société. Je garde une liste de thématiques qui me touchent dans mon ordinateur. Elles restent là jusqu’au moment d’une opportunité ou d’une rencontre avec un héros ou une héroïne du quotidien qui exprime par son vécu pleinement ces sujets de société… » Une fois le lien établi, l’autrice laisse le temps à la confiance de s’installer. « Si une parole se met en place alors je peux commencer à suivre ‘mon personnage’. Le son implique un grand respect de la personne et de son rythme. » Ce lien fort et sensible transparait notamment dans son documentaire Perle qui raconte l’histoire de Fos et de sa reconstruction après une excision. Cette production a par ailleurs été récompensée par les prestigieux Grand Prix International URTI 2021 et le Prix Europa 2022 dans la catégorie meilleur documentaire radio. « J’ai envie de donner de l’espoir, il y a beaucoup de drames et je ne pense pas nécessaire de rajouter de l’anxiété. Je souhaite parler de sujets profonds en racontant de belles histoires qui sont porteuses, optimistes et qui offrent de l’énergie pour poursuivre nos vies. » 

Écritures et rituels

Évidemment, outre les rencontres, la démarche documentaire requiert un important travail d’écriture. Lorsqu’on la questionne sur ses rituels de travail, l’autrice reste songeuse... « Je n’ai pas vraiment de rituel, si ce n’est que j’essaye de me créer des bulles en m’isolant par exemple dans une cabane, loin de chez moi, de ma famille, pour me mettre à mon rythme. Dans la création, il y a des moments de désespoir, d’euphorie émotionnelle : il y a quelque chose de transcendant et il faut que je sois complètement avec moi-même pour pouvoir le vivre. » Le travail d’écriture de l’autrice se découpe en différentes phases. Premièrement, elle se questionne sur les sons les plus justes, les plus émouvants à capturer. Ensuite lors des prises de son, la réalisatrice se laisse surprendre par la parole qui se délie et par les réalités du tournage. « J’écoute ce que la personne a à dire. La vie est pleine de blessures, de fêlures et un son un peu enroué représente aussi cette vie-là... Je me laisse de mieux en mieux porter par le sujet en lui-même, les rencontres et vers où elles vont m’emmener. » Enfin vient l’écriture du dérushage et du montage. « Le sujet évolue d’une phase à l’autre. Je garde avec moi un gros carnet dédié au sujet que je travaille et dans lequel j’écris mes pensées, mes idées et j’y reviens toujours. »

Gulliver, un levier de création

Perle et Pleuvoir sur les morts ont été sélectionnés par le Fonds Gulliver qui soutient la création radiophonique francophone, dans les domaines de la fiction et du documentaire. Ce fonds est porté et constitué par la Direction des Lettres de la Fédération Wallonie-Bruxelles, la RTBF (Par Ouï-Dire et Podcast), la RTS (Le Labo et Podcast), la SACD Belgique, la SACD France, la Scam Belgique et la Scam France. « Cette aide donne un effet de levier à une création. Et puis il y a le soutien de Pascale Tison, qui intervient à mi-parcours dans le montage ; son oreille extérieure est très bénéfique. Elle est à l’écoute et essaye de suivre l’intention des réalisateur·rices sans s’imposer, mais plutôt en ouvrant des perspectives et soulignant des aspects à préciser. » Selon Yasmina Hamlawi, un autre point essentiel du Fonds repose sur la mise en avant à l’international : « Gulliver, c’est un peu un sceau qu’on appose à une œuvre, ça ouvre des portes et ça, c’est précieux. » Et serait-il possible d’aller plus loin dans l’aide aux artistes sonores ? Elle sourit : « Ah ça oui... En soutenant mieux la phase d’écriture que ce soit financièrement ou en faciliter les résidences par exemple... » Une chambre à soi pour les documentaristes, donc... Message reçu !  

Propos recueillis par Jehanne Bergé

Pour aller plus loin

• Découvrir le site internet de Yasmina Hamlawi
• Découvrir la biographie de Yasmina Hamlawi sur le site de l'ACSR
• Découvrir l'appel à projets Gulliver 2024.