Pleins feux sur Jean-Luc Engelbert, Prix Scam Parcours Texte & images 2022
"Avec les mots et les dessins de Jean-Luc, vous retomberez aussitôt en enfance !" Un bien beau programe pour lequel nous ne pouvons que remercier Jean-Luc Englebert, qui a reçu le Prix Scam Texte et Image 2022 pour l'ensemble de son parcours. Découvrez à cette occasion l'éloge écrit pour lui par le Comité, ainsi qu'un entretien passionnant avec Juliette Mogenet.
L'éloge du Comité
Né en 68 à Herve, Jean-Luc est, dès son plus jeune âge, tombé amoureux de la bande dessinée. À 18 ans, muni de ses carnets, crayons et autres pinceaux, il s’installe à Bruxelles pour suivre les cours de l’atelier BD de Saint-Luc. Là, il se confronte à d’autres styles et d’autres univers et se demande si, finalement, c’est bien la voie qu’il souhaite emprunter. Ce n’est qu’en redécouvrant l’œuvre de Grégoire Solotareff que l’idée germe lentement : un album jeunesse, pourquoi pas ? Pendant trois ans et en solitaire, il va dessiner sans relâche, se décourager parfois et recommencer jusqu’à présenter à Pastel son projet.
1994 marque la sortie son premier livre : Ourson a disparu.
La patte du héros dessiné se pose alors sur l’épaule de son créateur et ne la quittera plus : un artiste des mots et des illustrations est né.
S’ensuivront, sur trois décennies de carrière, une quarantaine de titres, en solo ou en collaboration avec Andréa Nève, Jean Leroy ou encore Marie Chartres… Avec toujours cette ligne directrice : des histoires pleines de tendresse et des aquarelles limpides laissant toute la place à la poésie.
Avec les mots et les dessins de Jean-Luc, vous retomberez aussitôt en enfance ! Qu’il vous propose d’endosser L’Anorak rouge, qu’il déclare Je veux un pain au chocolat, qu’il parte à La Chasse au dragon ou qu’il accompagne Un ours à l’école, que L’Été indien soit sa saison préférée et que Jan, le petit peintre soit, sans nul doute, un double de lui, une chose est certaine, avec Jean-Luc Englebert, que nous sommes heureux de récompenser d’un Prix Parcours en Littérature Jeunesse, tout se termine toujours par Une histoire et un câlin.
Fabienne Blanchut, membre du Comité belge de la Scam
Jean-Luc Englebert : trente années de littérature jeunesse
Jean-Luc Englebert est auteur et illustrateur de livres pour enfants depuis 1994, année de la parution de Ourson a disparu. Impossible, pour lui comme pour mon moteur de recherche, de calculer le nombre exact de livres qu’il a écrits, illustrés, auxquels il a contribué. Une quarantaine environ, en trente années de carrière, entre ses projets propres, certaines commandes et d’autres collaborations avec des auteurs et autrices complices.
Le prix Parcours Texte et Image de la Scam récompense aujourd’hui cette carrière aussi foisonnante que cohérente : revenons ensemble sur son itinéraire.
Quelle enfance avez-vous eue ? Y avait-il des livres chez vous, enfant ? Quand avez-vous commencé à dessiner et quand avez-vous voulu en faire votre métier ?
Ma mère, institutrice, nous emmenait une fois par mois à la bibliothèque. Nous avions donc accès à des livres. Mais à l’époque, dans les années septante, il y avait moins de choses intéressantes qu’aujourd’hui en littérature jeunesse, et je lisais essentiellement de la bande dessinée. Spirou, Tintin, Gaston Lagaffe : ils ont bercé mon enfance. Je vivais à la campagne : on passait beaucoup de temps à l’extérieur, on jouait en toute liberté, on allait de jardins en jardins.
Je me souviens précisément du moment où j’ai voulu devenir dessinateur : quand j’avais 9 ans, j’ai découvert Tout l’univers, et j’ai été littéralement fasciné par les dessins utilisés pour représenter les différentes entrées de l’encyclopédie, hyper réalistes, très colorés, qui remplaçaient en quelque sorte les photos. Je n’étais pas un immense lecteur, mais j’étais vraiment friand d’images.
Autour de mes 13 ans, j’ai rencontré François Walthéry, le dessinateur de Natacha, qui venait faire ses courses dans le supermarché où travaillait mon père. Ça m’a rendu réel, accessible, le métier de bédéiste.
À 16 ans, je suis allé faire mes deux dernières années d’école secondaire à Saint-Luc à Liège, et là j’ai découvert qu’il y avait d’autres sortes de dessins, d’autres possibilités, et j’ai ensuite choisi pour mes études supérieures d’étudier la BD à Bruxelles, à Saint-Luc, que j’ai donc intégré en 1986.
Vous aviez donc d’abord un intérêt plutôt pour la bande dessinée... Comment et pourquoi avez-vous bifurqué vers la littérature jeunesse ?
C’est au moment où j’ai commencé mes études en BD à Bruxelles que j’ai découvert la littérature pour la jeunesse et tout ce qui existait dans ce secteur-là, qui m’était pratiquement inconnu jusqu’alors. Ca a été une vraie découverte. On avait des cours avec la section illustration, dont sont issues notamment Kitty Crowther et Anne Brouillard. Nous avons assisté en 1988 à une conférence avec Christiane Germain, pour le lancement de la maison d’éditions Pastel, liée à l’École des Loisirs mais basée à Bruxelles.
Au même moment, dans ces années-là, il y a eu une crise dans l’édition BD, beaucoup d’éditeurs arrêtaient leurs activités, il était devenu très difficile pour les jeunes auteurs et dessinateurs d’être publiés. J’ai donc commencé à m’intéresser de plus près à la littérature jeunesse, mais à l’époque j’avais un dessin qui était trop dans l’esthétique de la BD, j’ai dû vraiment réapprendre à dessiner. J’ai passé presque deux ans après mes études à déconstruire puis faire bifurquer mon apprentissage du dessin, en autodidacte. Je travaillais à mi-temps à côté, et j’avais un bon contact avec Christiane Germain, que j’allais voir tous trois mois pour lui montrer comment j’avançais, et qui me faisait des retours. Un jour, je lui ai montré la couverture de ce qui allait devenir mon premier livre Ourson a disparu et elle m’a dit : on publie !
Aujourd’hui, en BD, il y a plein de choses très intéressantes qui existent, plein de possibilités d’exploration, beaucoup de maisons indépendantes qui proposent des choses incroyables, avec du relief, de la gravure, des recherches au niveau de la couleur, de la forme, mais à l’époque il y avait beaucoup moins de possibilités, on restait beaucoup dans le dessin de BD « classique » avec des aplats de couleur. De mon côté, j’avais envie de continuer à expérimenter l’aquarelle, des techniques de dessin qui me paraissaient plus vastes que ce qui existait en BD.
Je suis donc arrivé à la littérature jeunesse un peu par hasard. Je suis revenu brièvement à la BD avec trois albums aux éditions Dupuis, mais c’était comme une petite parenthèse qui m’a permis de confirmer que finalement, ce que j’aimais le plus, ce que je savais faire, c’était raconter des histoires aux enfants…
C’est quoi, raconter des histoires aux enfants ? Quelle est la spécificité de ce public ?
C’est un public chouette, les enfants. Ils sont cash. Ils vont te dire : j’aime ça, mais ça j’aime pas du tout. Je peux leur raconter des choses qui m’amusent moi, je n’ai pas besoin de me justifier. Si j’ai envie qu’il y ait un ours qui parle, il parle, et c’est comme ça. Pour les enfants, le réel est malléable, et ça permet plein de possibilités, on peut faire surgir de l’imaginaire un peu partout. Les enfants se posent moins de questions.
Aujourd’hui, ça fait tellement longtemps que j’écris pour eux, que je m’adresse à eux, c’est devenu presque naturel. C’est un peu comme conduire une voiture : au début tu dois apprendre la technique, réfléchir à ce que tu fais, à comment ça fonctionne, faire les gestes dans l’ordre, puis à un moment tu ne décomposes plus autant tes mouvements, il y a des choses que tu fais pratiquement par réflexe. J’ai un peu cette même sensation : je ne pourrais pas vraiment expliquer comment j’écris pour les enfants, mais je sais que c’est à eux que je m’adresse.
Je fais aussi pas mal de rencontres dans des classes et d’animations, c’est assez chouette : souvent, je dessine devant eux et on invente une histoire tous ensemble. J’aime l’idée qu’ils conscientisent qu’on est tous capables d’inventer une histoire et de la dessiner. Ce n’est pas forcément facile, mais c’est possible !
Comment écrivez-vous un album ? Avez-vous une façon de faire qui revient de livre en livre ?
Je suis incapable d’écrire sans support visuel, ou de faire un livre à l’ordinateur, par exemple. J’ai besoin de crayonner, de faire des petits dessins, de construire des personnages. Mais par contre, chaque livre a son histoire. Chaque album a un point de départ différent, des idées qui viennent d’inspirations variées, d’envies qui surviennent de diverses sources.
Souvent, c’est quelque chose dans le quotidien, que je vois ou que j’entends, qui me traverse puis me trotte dans la tête, me revient. J’utilise beaucoup mes carnets pour prendre des sortes de notes illustrées au quotidien, et parfois une suite d’image donne le début de quelque chose. Souvent pas. Mais parfois oui, et alors je continue, j’approfondis, et ça devient ensuite une histoire…
Vous collaborez parfois avec des auteurs ou autrices (je pense à Andréa Nève ou Carl Norac par le passé et à Marie Chartres plus récemment avec Hortensia, Un caillou dans la poche, Frankie) comment se passent les collaborations ? Qu’est-ce que ça change de travailler en duo ?
Ce qui change quand je travaille avec quelqu’un qui écrit un texte, c’est que je dois m’imprégner de l’imaginaire de quelqu’un d’autre, je dois construire quelque chose à partir d’un monde qui ne naît pas de moi. Et c’est très intéressant à faire, mais en réalité je trouve ça plus difficile que de travailler seul. Je reçois un scénario, une histoire, avec un univers qui préexiste, et je dois dessiner quelque chose qui est cohérent par rapport à ce que l’auteur ou l’autrice s’est imaginé.
Parfois, je peux avoir une sorte de syndrome de l’imposteur aussi, dans le cas de collaborations, l’impression que je ne fais pas ce qu’il faut, que je ne vais pas réussir à faire ce qu’on attend de moi… Alors que quand j’écris et dessine mes propres histoires, j’imagine tout à la fois : l’histoire, les personnages, leur univers, et je me pose moins de questions.
Mais parfois j’aime bien aussi sortir de ma zone de confort, me confronter à d’autres auteurs, accepter des commandes aussi, c’est comme me lancer des petits défis. Les rencontres, comme les collaborations avec d’autres auteurs, m’ont aussi souvent nourri, ouvert à d’autres univers, fait bifurquer et évoluer mon travail.
Quels sont les auteur·trices, illustrateur·trices ou œuvres qui vous ont influencé au fil de votre parcours ?
Il y a une BD dont je me souviens très bien, de quand j’étais petit, qui s’appelle Petzi, créée par Hansen. C’est ma première grande influence, je pense. Le personnage était un petit ourson, l’histoire était représentée dans la case de BD et ce qui se disait était écrit en-dessous. Ça me fascinait.
J’ai aussi adoré Hergé, pas forcément pour son dessin mais plutôt pour sa capacité à aller à l’essentiel, sa façon de construire les histoires, ses scénarios sans fioritures et complexes à la fois. On en a beaucoup parlé avec Mario Ramos, qui a été justement une de mes grandes rencontres artistiques et humaine et avec lequel je partageais cette admiration pour Hergé.
Je pense aussi à Maurice Sendak, Arnold Lobel, Quentin Blake, Anne Brouillard, Isabelle Arsenault… Je suis aussi fan de dessins animés : les studios Ghibli, mais aussi les Pixar, les Disney, Kirikou…
Globalement, je suis sensible aux atmosphères, j’aime aussi beaucoup le cinéma quand il transmet de belles images, j’adore la peinture des primitifs flamands et la photo des pictorialistes américains, entre autres. J’ai des goûts et des intérêts assez éclectiques, et donc mes influences le sont aussi, je pioche par-ci par-là ce qui m’intéresse.
Vos livres reflètent en quelque sorte cet éclectisme, ils racontent des histoires souvent très différentes et mettent en scène une multitude de personnages. Est-ce qu’il y a des sujets, des thématique qui vous tiennent particulièrement à cœur ?
Je pense que s’il faut repérer un fil conducteur qui se retrouve dans tout ce que j’écris, et souvent aussi dans les livres que j’ai fait avec d’autres, c’est qu’à un moment, l’enfant se débrouille tout seul. Mes personnages sont rarement des animaux, le plus souvent ce sont des enfants, qui ont leur univers propre. J’aime l’idée que cet enfant-héros n’ait pas systématiquement besoin de l’appui d’un adulte pour vivre son aventure, que face au danger il apprenne à gérer seul, qu’il s’émancipe, qu’il grandisse. J’aime raconter des histoires d’enfants assez costauds pour trouver des solutions.
Ce sont les éditions Pastel qui vous ont publié depuis le début : j’imagine que c’est une belle relation de confiance qui s’est nouée avec cette maison avec laquelle vous travaillez depuis trente ans… Comment les choses se sont-elles tissées avec cette équipe ?
Quand j’ai commencé, je ne connaissais pas du tout le milieu du livre, de l’édition. À l’époque, la plupart des éditeurs étaient à Paris, et je n’aurais même pas envisagé publier à Paris en vivant à Bruxelles. C’est difficile à imaginer mais c’était vraiment un autre temps : il n’y avait pas internet, pas le TGV. Pastel était basée à Bruxelles : c’est grâce à cette proximité géographique que j’ai poussé leur porte.
Et Pastel est un éditeur qui soutient ses auteurs et autrices, qui valorise l’ensemble de son catalogue et fait en sorte que la durée de vie d’un livre soit la plus longue possible. Ce n’est pas si fréquent, je pense. Ourson a disparu, par exemple, c’était mon premier livre, et ça a été un succès auquel je ne m’attendais pas du tout, il a été vraiment mis en valeur, proposé dans l’abonnement d’abord, puis réédité en plusieurs formats, traduit, etc.
C’est aussi une maison qui laisse une grande liberté à ses auteurs : je n’ai jamais eu de pression, de délais, de restrictions. C’est une grande chance pour moi d’avoir pu faire ce métier dans ces conditions, d’abord en travaillant avec Christiane Germain dont on a déjà parlé, puis avec Odile Josselin avec qui le contact a aussi été très bon.
Quel est votre dernier livre paru ? Sur quoi travaillez-vous actuellement ?
L’Idée du placard est tout récemment sorti, début avril. C’est l’histoire d’un enfant qui s’ennuie et qui voudrait aller sur la lune. Il rencontre un personnage qui vit dans son placard et il retrouve, dans le capharnaüm de sa chambre un jouet, une sorte de robot-Goldorak, tout droit sorti de ma propre enfance, qui devient une fusée pour l’emmener sur la lune…
Pour la suite : je suis en train de travailler sur un album qui s’appellera La Grande Journée au musée où un groupe d’enfants et un groupe de personnes âgées passeront leur journée à passer du musée du tricot au musée du jouet, du musée de la montgolfière au musée de la magie, et ainsi de suite à travers une dizaine de musées, en se croisant et se ratant à chaque fois, jusqu’à se retrouver tous au musée de la crème glacée. J’avais envie de raconter l’histoire d’un groupe d’enfants, et puis j’aime cette esthétique du musée, qui peut déborder de mille objets et être un peu désuet aussi… J’ai plein d’idées, plein d’envies, plein d’images en tête : ça paraît simple, mais ce n’est pas si facile à coucher sur le papier ! Rendez-vous en 2024…
Propos recueillis par Juliette Mogenet