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Antoine Wauters : « On a besoin de beauté pour tenir debout »

jeudi 30 novembre 2023

« J’écris pour rester nombreux » raconte Antoine Wauters dans son dernier livre, lauréat du prix Rossel 2023 : rencontre avec un homme « destiné à flotter », qui a trouvé dans l’écriture le moyen le plus simple et le plus efficace d’y parvenir, pour notre grande joie de lecteurs et lectrices…
Entretien à l'occasion de la campagne « Lisez-vous le belge »

Ce vendredi matin, au Chicago Café, en plein cœur de Bruxelles, Antoine Wauters semble heureux. Son dernier livre, Le plus court chemin – le cinquième paru chez Verdier –, a reçu le Prix Rossel et le Prix Rossel des lecteurs : « C’est bon d’être aimé par les siens, confie-t-il en souriant. Pour un texte qui parle de la Belgique, ça m’a beaucoup touché. » Remontant le fil ténu de la mémoire, ce livre n’est pas si éloigné de certains textes d’Annie Ernaux (La place, La honte) ou de Joël Baqué (La mer c’est rien du tout) : il évoque l’enfance comme un continent à la dérive dont il s’agit de laisser remonter des fragments. Un livre qu’Antoine Wauters dit avoir aimé écrire
« parce qu’il s’est construit sans fin et sans fond. La mémoire, on n’en fait jamais le tour, elle est trouée, il n’y a en quelque sorte rien à atteindre ». Comme le narrateur de La cave de Thomas Bernhard, Antoine Wauters a lui aussi fait le choix du « chemin opposé » (à l’école, au monde du travail, aux attentes sociétales) en posant le pied sur le territoire de l’écriture : « J’avais 18 ans quand j’ai découvert le livre de Bernhard ; quel bonheur c’était que quelqu’un me dise que j’avais le droit de faire ce choix ! » se souvient-il, évoquant les années de vaches maigres au cours desquelles il a toujours pu rebondir, comme si la chance se tenait à ses côtés.

Dans Le plus court chemin, ce sont les années d’avant les mots qu’il évoque : l’enfance passée dans la campagne wallonne autour de Sprimont, entre 1981 et 1990, avant la chute du mur de Berlin et la grande accélération qui a, depuis lors, tout changé. C’est là la grande force de ce livre, à la fois intime et universel : d’avoir trouvé la justesse nécessaire pour dire ce qui, dans les sensations flottantes de l’enfance, se passe de mots. Très personnel par ce qu’il raconte – le sentiment du narrateur de ne pas être tout à fait là, tout à fait lui –, ce texte puissant dessine aussi la silhouette des proches (les grands-parents en cache-poussière et les oncles flamands passés de l’autre côté de la frontière linguistique) tout en floutant les contours, laissant chacun y trouver son propre effet miroir : « J’avais envie que les gens y trouvent leur place, je ne voulais pas casser la capacité de projection », précise Antoine Wauters.

Cette capacité de projection lui fait évoquer d’autres auteurs et autrices belges au souffle poétique comme André Baillon, Conrad Detrez, Madeleine Bourdouxhe et, plus récemment, les derniers livres de Luc Baba et Veronika Mabardi : « Quand je n’écris pas, je suis un lecteur tranquille, lisant lentement mais beaucoup. Je peux me lever très tôt le matin et lire une heure avant toute autre activité, pour le plaisir d’être dans un couloir hors du temps. J’aime investir la nuit ; le jour me rappelle tout ce que je déteste », déclare-t-il en faisant brièvement allusion au « Black Friday » qui s’annonce ce même vendredi. Comme certains mystiques (il évoque sainte Thérèse-Bénédicte de la Croix), il s’agit de se donner du temps avant de faire face aux tâches journalières, d’être happé par tout le reste... Lui qui a longtemps souffert des à-côtés promotionnels de l’écriture confie avoir appris à pouvoir écrire n’importe où, à se focaliser davantage sur le présent : « Je retrouve plus facilement l’accès à mes pensées. Le plaisir d’écrire justifie tout. Désormais, je travaille sans me dire que je fais un livre : je suis comme un pianiste qui fait ses gammes. C’est de la pratique, comme la menuiserie. Une manière de ne pas me perdre dans le quotidien. »

 

De la poésie dans la vie des gens

Face au peu de cas que les institutions et les médias belges font de leurs auteurs, comparativement à d’autres territoires comme le Québec et la Suisse, Antoine Wauters ne cache pas son sentiment de tristesse et d’écœurement : « On est un petit pays avec peu d’argent et peu de médias, mais on peut faire mieux. Il faudrait repenser la visibilité de la littérature belge : il n’y a pas de hiérarchie à instaurer avec les auteurs français, or à chaque rentrée littéraire, la différence est bien là ! » Ce qu’il faudrait, selon lui, c’est inventer un lieu – une maison –, où chaque pièce serait une manière de présenter la culture de manière différente… La distinction entre les genres littéraires l’a par ailleurs toujours profondément ennuyé : « Je ne comprends pas que le Goncourt de la poésie ne génère aucune vente, aucune promotion. En Amérique latine, un festival de poésie peut rassembler des milliers de personnes. C’est purement culturel ! Je trouve ça tellement beau quand des objets littéraires bizarres sont aimés et partagés. Le meilleur exemple, c’est mon précédent roman, Mahmoud ou la montée des eaux : cette longue narration poétique n’aurait pas fonctionné en librairie sans le label roman. » L’édition Folio de ce livre, lauréat du Prix Wepler et du Prix du Livre Inter, s’est déjà écoulée à 60.000 exemplaires : « C’est la preuve que la poésie n’est pas un truc de niche et que, quand on diffuse des messages qui ne prennent pas les gens pour des cons, il y a un public, même en termes économiques, s’exclame Wauters. Quand on vend 130.000 exemplaires d’un livre, ça a des retombées culturelles. Alors, pourquoi ne pas insérer quelques poèmes au milieu de tout ce qui passe en radio ? »

Le souffle, l’impétuosité, le mordant et la douceur de certaines écritures : c’est aussi ce qu’Antoine Wauters recherche en tant qu’éditeur de la collection iF, dont Relation d’Alexis Alvarez était lui aussi finaliste de ce prix Rossel 2023 : « J’étais content qu’après onze ans d’existence, il y ait enfin un livre de cette collection qui soit finaliste du Rossel, mais les librairies partenaires devraient mettre massivement en avant les cinq finalistes, or ce n’est plus le cas. Quand les libraires ne prennent qu’un exemplaire de chaque livre, c’est condamner celui-ci à ne pas exister. Il faudrait qu’il y en ait des piles et qu’on invite les auteurs à des moments d’échange avec le public. »

Il faudrait aussi faire en sorte, note Wauters, que ces livres soient lus dans les écoles, comme c’est davantage le cas en France, où même un éditeur de poésie comme Cheyne y arrive… « On a besoin de beauté pour tenir debout et c’est en train de disparaître, or je vois à quel point les jeunes ont besoin de se nourrir culturellement et intellectuellement. Si on arrête de leur donner cette possibilité, ils deviennent cinglés ! » Fraîchement débarqué de Lille, où il participait aux rencontres pour le Prix du roman des étudiants France Culture/Télérama, Wauters y a côtoyé 250 jeunes très motivés : « Ils lisent, ils écrivent, ça les passionne ! »

 

Propos recueillis par Aliénor Debrocq

Pour aller plus loin

Antoine Wauters, Le plus court chemin, Verdier, 256p., 2023

 

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