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Hommage à Raoul Cauvin

mercredi 1 septembre 2021

Raoul Cauvin nous a quittés ce 19 août 2021. Bernard Yslaire, scénariste et dessinateur belge, lui rend hommage.

 

J’avoue, cher Raoul, qu’il m’est difficile d’écrire un hommage à ta mémoire. Déjà, tu n’aimais pas les éloges. Tu rougissais le plus souvent, rappelant le talent de tes dessinateurs avant le tien. C’est vrai, je n’ai jamais rencontré de scénariste aussi gentil, aussi sincèrement humble que toi. Pourtant on t’a surnommé « monsieur 33% » des éditions Dupuis, pour ton apport annuel, toutes séries confondues, au chiffres d’affaires de Dupuis. Plus de 50 millions d’albums vendus… Accessoirement, un cœur gros comme ça, et un des fondateurs de ce Prix Diagonale en réponse à celui d’Angoulême, pour distinguer ces auteurs belges oubliés par les prix, la presse et les honneurs. Surtout « tes » dessinateurs.

Moi, je t’ai connu dès le premier jour à Spirou. J’avais quatorze ans, tu étais employé à la rédaction à mi-temps. « Monsieur photocopie » du 5e étage rue de Livourne faisait déjà les scénarios de Tuniques bleues, presqu’en t’excusant. Tu donnais l’impression de ne jamais travailler, que la BD c’était simple : faire rigoler les copains au boulot, sans se prendre la tête. Evidemment, beaucoup de critiques « parisiens » trouvaient que tes dialogues avaient trop l’accent belge et la platitude de notre pays. Tu peux sourire, j’ai même lu dans la presse aujourd’hui que certains te qualifient de génie. Mais qui a osé à cette époque, tirer une série de gags du quotidien d’un fossoyeur, d’un psy, des infirmières ou d’un flic ? De Militaires, d’ange-gardiens, mousquetaires et j’en passe ? Toi qui avait commencé avec Brétécher, qui dessinais tous tes scénarios sous forme de crobards, trahissant ton admiration de Reiser, tu prenais plaisir à les faire dialoguer de leurs angoisses très communes du café du commerce de Marcinelle. A ta manière, en héritier de Charlie et Hara Kiri, reconverti en gentil provocateur pour éternels enfants, tu donnais vie à des anti-héros bêtes et (pas vraiment) méchants. Peu ont relevé l’acuité du constat d’un assistant social, empathique à la médiocrité d’autrui car il ne se sent supérieur à personne. Anti-militariste bien sûr, mais pas assez pour déserter ses copains, tu cultivais cette indulgence pour l’incompétence, même quand la bêtise se dispute à la lâcheté et conduit à l’absurdité d’une guerre, d’une erreur médicale, d’une contravention abusive. Car tous tes acteurs exprimaient avec cette gouaille populaire, parfois même vulgaire, ta sincère tendresse de l’humain, capable du pire dans l’ordinaire, que tu excusais comme une banalité dont il vaut mieux en rire que de se lamenter.

Récemment dans la presse, un grand auteur de littérature belge a écrit à propos d’un cartooniste très connu, qu’il le faisait rire, mais qu’il ne pouvait le confondre avec un artiste. A savoir que l’Art apparaît dans l’après, dans la mémoire qui reste après la découverte de l’œuvre. Dit plus simplement, quand la musique de Mozart s’arrête, le silence qui suit est encore de Mozart… Alors qu’un gag de BD s’oublie pour lui aussi vite qu’il a fait rire. Tu veux que je dise, Raoul ? J’ignore ce qui définit un grand auteur, sachant trop que l’humour et la tendresse au contraire des larmes, n’ont jamais eu la reconnaissance des honneurs ni des musées. Mais cette petite musique que tu laisses dans la tête de ceux qui t’ont lu, je suis certain que ces millions de gens en sourient encore. Silencieusement.

Je suis le clown de Sa Majesté le peuple disait Chaplin qui n’a jamais reçu d’Oscar pour un de ses films. Je ne serais pas étonné que là-haut vous auriez quelques bonnes blagues à vous partager.

Bernard Yslaire

Hommage à Raoul Cauvin