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Aurélien Dony : « La poésie est et doit rester un champ d’exploration ouvert »

jeudi 22 septembre 2022

Touché par « les écritures qui osent l’incursion de la poésie au cœur même de la prose », Aurélien Dony (Dinant, 1993) a fait son entrée en poésie à l’âge de 18 ans et n’a eu de cesse, depuis lors, d’explorer les formes de la page à la scène... À la veille du Poetik Bazar, rencontre avec celui qui cite volontiers Pierre Coran : « Je me croyais désert et j’étais habité. »

 

Quels ont été vos débuts en poésie ? Vos déclencheurs ?

Aurélien Dony : Mes débuts en poésie, je les dois à Jacques Palange. Cet auteur, qui habitait Anseremme à l’époque où je l’ai rencontré, avait été invité par ma professeure de français à l’athénée de Dinant. Jacques était déjà âgé quand il nous a rendu visite. Mais aucun d’entre nous ne voyait en lui un « vieil homme » : il brûlait d’un feu dont je n’ai pu me mettre à l’abri. Je me rappelle l’avoir entendu nous dire : « La poésie, c’est une façon de résister ». Et ça, à treize ans, ça m’a plu.

Je griffonnais des textes, dans des cahiers, je les lui ai fait lire. On s’est rencontré à plusieurs reprises, et nous sommes devenus amis jusqu’à sa mort, il y a quatre ans. Ensuite, à l’adolescence, la poésie c’était surtout Ferré pour chanter Aragon, Baudelaire, Rimbaud, Apollinaire… Sans Ferré, je n’aurais sans doute pas apprécié ce genre au point de m’y essayer moi-même. Je me rendais compte avec lui de la force de la poésie, de sa violence, aussi.


En quoi la poésie est-elle pour vous un « éternel mouvement » ?

A.D. : D’abord parce que l’écriture du poème est – et ce n’est pas une singularité, je partage cela avec bien d’autres auteurices – intimement liée à la marche. « L’espace traversé me traverse », comme le dit Jean-Philippe Pierron. Et, souvent, pour que le poème advienne, il faut, d’une certaine façon, que l’espace me traverse. Que je sois tout transpercé du dehors. Que je fasse taire la tête ; que je laisse au paysage le silence nécessaire à ce qu’un mot inattendu germe là-dedans, dans la caboche. Caboche enfin débarrassée de ma voix. La marche permet ça. Que la voix du dedans ne soit plus tout à fait la sienne. Mais celle… de qui ? Marcher ou… prendre des trains. Je n’ai pas de permis et je me déplace donc exclusivement en train. C’est souvent entre deux gares que j’écris un poème. Et, c’est certain, c’est parce que le train est en mouvement, qu’il se déplace dans le paysage que l’écriture poétique devient possible.

Et puis, poésie en mouvement parce que mes premiers recueils ont été des tentatives d’explorer différentes voix à travers différentes formes. Même si l’envie se fait de plus en plus forte d’approfondir un rapport franc à l’oralité, je ne veux me contraindre en rien : le prochain recueil renoue d’ailleurs davantage avec une tradition plus classique du poème, j’entends par-là qu’il s’offre davantage à la lecture, qu’il n’est pas travaillé spécialement pour la scène.

La poésie est et doit rester pour moi un champ d’exploration ouvert. Sinon, autant arrêter tout de suite.


Vous citez Antoine Wauters et Véronika Mabardi comme sources d’inspiration : comment opère ce décloisonnement narration / poésie, selon vous ?

A.D. : Oui, l’écriture d’Antoine Wauters me bouleverse. Ses deux derniers livres, Mahmoud ou la montée des eaux et Le Musée des contradictions, sont deux livres d’une force extraordinaire. Sans doute parce qu’ils recèlent tous deux de cette incandescence qui, pour moi, est l’apanage du poème. Dans le cas de Mahmoud, le livre est écrit en vers. C’est un récit en vers, un poème. Pour le Musée, ces nouvelles sont écrites comme des discours. Des discours au cœur desquels la langue se déploie et frappe le/la lecteurice comme un fouet. C’est un poème.

Chez Véronika Mabardi, l’histoire est aussi abordée dans son costume de poils ou d’écume, dans la confiance à un certain rythme, une musique, une langue. Je pense, par exemple, à Peau de louve ou Adèle. Ces écritures me plaisent, oui, parce qu’elles chantent. M’aventurer sur la question de savoir si c’est de la poésie ou non… C’est un terrain miné ! Je ne dirais pas que tout est poésie mais ce qui me soulève, m’incendie ou m’en-chante, instinctivement, je le place du côté du poème.


Vous êtes aussi actif dans le « spoken word » et vous écrivez pour le théâtre : en quoi ces différentes modalités d’écriture se nourrissent-elles l’une l’autre ?

A.D. : Elles se nourrissent l’une l’autre dans une certaine mesure. J’accorde une extrême attention à la musicalité du texte. Je ne m’en cache pas, je suis assez lyrique. Je ne parviens pas à me défaire du chant. Qu’il s’agisse de théâtre ou de poésie, j’écris d’abord dans le souci du rythme, de la cadence, du potentiel explosif des mots placés là, les uns à côté des autres et qui, dans ma bouche ou celle des autres, peuvent soudain dynamiter un rapport conventionnel au langage (enfin, c’est toujours un objectif, ce vers quoi je tends).

Mais c’est très différent d’écrire pour soi ou d’écrire pour les autres. D’avoir eu le plaisir d’écrire pour d’autres, j’ai peut-être compris à quel point le corps était important. Au théâtre, j’essaie de tailler la langue sur mesure : pour un corps, une voix, une façon de dire et de bouger. C’est par ce chemin-là que je me suis mis à examiner ce que mon propre corps et ma voix se plaisaient à porter sur scène.

L’oralité se situe peut-être là : dans le désir d’écrire au plus près du corps, d’un corps, d’un dire, du mien ou de celui des autres.


Qu’est-ce que l’écriture dramatique a de singulier, de différent ?

A.D. : Depuis la création d’A-vide, avec Charly Simon, je ne travaille plus pour le théâtre qu’en rencontrant les interprètes et en passant du temps, le plus possible, à les observer dans des traversées de plateau (selon certains canevas d’impros ou de « cartes blanches », de séquences courtes, de trois à cinq minutes), à me mettre à l’écoute de leur dire, de leur mouvement, de leur façon d’approcher l’autre, l’espace, les spectateurices. Nous prenons également du temps pour discuter hors plateau des thématiques du spectacle afin que le texte final soit émaillé des préoccupations, des pensées ou des réflexions que l’interprète aura bien voulu partager avec moi. C’est un processus d’aller-retour entre des ébauches et ce qui deviendra le texte du spectacle.

Avec A-vide, nous avons dû écrire une bonne quinzaine de versions du texte. Et la version éditée aux Oiseaux de nuit diffère de celle que Charly interprète aujourd’hui sur scène. Je crois que c’est cela qui me plaît le plus, dans l’aventure de l’écriture dramatique : c’est ce lien qui m’unit, en tant qu’auteur, à l’interprète dans cette recherche commune de ce qui sonnera juste pour elle, pour lui, tout en cheminant ensemble vers un langage résolument poétique.

Que vous apporte votre activité d’enseignant ?

A.D. : On apprend énormément sur ses propres outils et ses mécanismes de création lorsque l’on cherche soi-même à aborder la question de l’écriture avec d’autres. Au Conservatoire, j’ai beaucoup appris des étudiant∙es ces trois dernières années. Durant les modules d’écriture que j’ai donnés aux masters, j’ai pu entendre et repérer certaines maladresses (longueurs, explicitations inutiles, oubli de ce que l’espace permet de dire sans l’écrire…). Mais je les repérais d’autant mieux que ces maladresses étaient aussi les miennes. De les entendre sous d’autres plumes, je trouvais soudainement le chemin pour les éviter.
Et puis, nous parlions de mouvement : je pense qu’il n’y a pas meilleur moyen de rester en recherche que de fréquenter des situations d’apprentissage et d’enseignement.

Donner des ateliers d’écriture à des enfants, des ados, des adultes, me permet de renouveler ma façon d’aborder la poésie mais aussi ma façon de la partager. C’est toujours une gageure d’arriver en classe et de rêver qu’une fois sorti, iels auront une meilleure opinion de la poésie, voire qu’iels auront envie d’en écrire elleux-mêmes. Parfois, cela arrive. Et oui, c’est une joie qui n’a pas de prix.


Ce lien aux autres, où et comment le (re)trouvez-vous ?

A.D. : Nous avons la chance, en Belgique, de vivre certains temps forts en poésie. Je pense au Fiestival, qui accueille chaque année des poètes et poétesses internationaux, et qui fait la part belle aux écritures de l’oralité ; mais aussi au Poetik Bazar, qui en est à sa deuxième édition. Ce sont des moments importants pour celles et ceux qui ont un rapport étroit à l’oralité, et donc au public. Le 21 septembre, nous aurons le plaisir d’accompagner un groupe de promeneureuses à travers les rues avoisinant le BE-HERE, Jan Ducheyne et moi.
Et c’est souvent dans ce genre de contexte que la poésie, à ciel ouvert et en bonne compagnie, prend ton sens, et pour nous et pour celles et ceux qui nous font le plaisir de nous écouter et de partager ce moment.

Mais je ne néglige pas non plus toute l’importance du livre (et du travail d’édition qui l’accompagne), qui offre aux lecteurices un temps tout autre pour apprécier le poème. Notre voix est alors inventée, convoquée par le lecteur, la lectrice, et notre voix, j’ose le croire, se mêle à la sienne, en quelque sorte. Et ce lien, intime et secret, est tout aussi fort à mes yeux, bien que toujours insoupçonné.

Propos recueillis par Aliénor Debrocq

Aurélien Dony : « La poésie est et doit rester un champ d’exploration ouvert »